Tout le reste

Ce sentiment de l’été

C’est le titre d’un des plus beaux films de l’année dernière, sur la perte et le deuil,  vécus dans trois villes différentes, comme autant d’étapes, menant de la sortie du tunnel sombre de la dépression au soleil réparateur et consolateur. Les cinéastes arrivent à rendre l’été triste – même provisoirement. C’est également le cas des poètes  : « Tristesse d’été » s’intitule un beau poème de Mallarmé, qui contient ce vers magnifique : « De ce blanc flamboiement l’immuable accalmie (…) » Et chez Verlaine, « l’allégorie » de l’été est engourdie.

 

C’est étrange, car l’été est plutôt une saison associée à la clarté, à la joie, à la détente, la saison où le corps exulte, l’âme s’exalte, le désir s’exprime. Amours de plages, pages des romans, parures sportives. En tout cas, c’est, de loin, ma saison préférée. A condition qu’elle me permette une session de luminothérapie, de préférence près d’une mer chaude, Méditerranée, Pacifique, ou une autre, pourvu que ce soit une mer qui se baigne. C’est la saison à laquelle tout le monde devrait avoir droit. Ce qui ne me dissuade pas de vénérer Schubert, dont j’associe durablement la musique à l’hiver, sans doute à cause du Winterreise.

 

L’avantage de l’été, en effet, c’est qu’il autorise une vraie coupure, quand les autres congés sont plus courts, et la durée est indispensable pour débrancher. C’est en quoi le terme de vacances, au pluriel, est particulièrement approprié pour l’été, car devient possible la vacance de l’esprit, au singulier. L’été est cette présence très sensible sur le corps qui permet aussi l’absence à nous-même.

 

S’il y a une envie qu’il me faut assouvir en vacances, l’été, c’est de plonger dans les vagues, l’écume, l’eau translucide. C’est un poncif, j’en conviens, mais c’est nécessaire : retourner dans un état primitif, celui d’où nous venons, la Pangée, la mare primitive, première, organique, qui fut à l’origine de tout. Je me souviens que lors d’un oral, durant mes études, j’avais parlé de l’eau. Oui, de l’eau, de ce que je ressentais en me baignant, du paradoxe de l’eau (masse insaisissable, indéfinissable, incommensurable), à la fois très visible, réelle et en même temps impossible à retenir, et de la plénitude qui en découlait. Le cri de bonheur est sincère qui surgit au moment de la première baignade des vacances ! Me revoilà. Et je glisse dans l’eau ou plutôt l’eau glisse sur moi, sensation incomparable, jouissive, douce. Même seul, triste, l’eau m’a toujours consolé. Nager nu ou en maillot, encore mieux nu, c’est déjà un univers en soi : quitter ses oripeaux d’urbanité, pour se mettre à portée de l’eau. Sable, sel, soleil, sur la peau , c’est ainsi que naît l’état d’esprit qui nous éloigne le plus de ce que nous sommes obligés d’être, pour d’abord oublier ce que nous sommes, puis retourner à ce que nous fûmes.

 

Le soleil, aussi ! Etre abasourdi, hébété, étourdi de soleil, à la limite de l’insolation. La chaleur ralentit mouvements et sentiments, mouvements du corps comme de la pensée, sentiments nouveaux comme anciens. La torpeur de l’été, une expression que je fais mienne, inexorable, implacable, inaltérable. La force féroce du soleil me préserve de la rémanence des réflexions, oh partiellement ! Bien sûr que je pense à plein de choses, mais la fatigue aidant, les idées perdent de leur cohérence, de leur logique, de leur puissance. On oublie des noms, les associations d’idées sont étranges, des habitudes se défont. Seul le soleil et la chaleur peuvent lutter à armes égales contre le mécanisme déterministe des agendas, des choses faites et à faire, des listes d’obligations et de devoirs. Exténué, abruti, écrasé de soleil, je ne sais plus ni à quoi ni comment penser, et c’est bon. Et tout s’efface, s’engloutit, s’oublie. Plus rien n’a de sens, ni queue ni tête : béatitude – hébétude ? Toutes les grandes civilisations vénérèrent le soleil : je rends à ce Dieu ingrat un culte dangereux, mais irrésistible.

 

Certes, l’été est une trilogie : Sea, Sex and Sun. Cependant, après avoir développé Sea et Sun, je ne peux plus m’étendre sur le Sex. J’ajouterais seulement que j’aime tellement l’été dans l’hémisphère nord que, du coup, j’aime l’hiver dans l’hémisphère sud.

 

Je n’ai jamais compris ceux qui préfèrent partir en Ecosse, Irlande ou Islande, en Scandinavie, en Bretagne ou en Normandie, je l’avoue, même si mon visage se colore de honte en plus des coups de soleil, tant j’aimerais pouvoir me détourner de cette attraction facile et fatale, pour le plaisir plus subtil d’aller chercher le froid quand il fait chaud. J’ai régulièrement ce débat avec des amis, qui ne partagent pas mon goût de cette tyrannie hautaine, implacable, butée du soleil de l’été et dont je n’entends pas qu’ils veuillent à tout prix y échapper. La Corse, entre plages brûlantes et montagnes fraîches, fait figure d’équilibre idéal. J’aime aussi  les Cévennes avec la chaleur écrasante, comme hautaine, indifférente à ceux qui la subissent, l’odeur sèche de la forêt, mêlant senteurs d’herbes, de fleurs et des arbres, loin du léger moisi des sous – bois humides, la lumière bleue, – nulle âme de nuages qui vive à l’horizon.

 

Nous ne sommes pas si loin du poème de Verlaine, qui peut être retourné comme un gant : offre-t-il une vision positive ou négative de l’été ? Plutôt négative, de prime abord si on en retient les adjectifs, les verbes, les expressions, pris isolément, mais positif, en fait, si on écoute la musique d’ensemble, la progression vers le calme et la paix, l’image finale des reflets sur le velours :

« Despotique, pesant, incolore, l’Eté,
Comme un roi fainéant présidant un supplice,
S’étire par l’ardeur blanche du ciel complice
Et bâille. L’homme dort loin du travail quitté.

L’alouette au matin, lasse, n’a pas chanté,
Pas un nuage, pas un souffle, rien qui plisse
Ou ride cet azur implacablement lisse
Où le silence bout dans l’immobilité.

L’âpre engourdissement a gagné les cigales
Et sur leur lit étroit de pierres inégales
Les ruisseaux à moitié taris ne sautent plus.

Une rotation incessante de moires
Lumineuses étend ses flux et ses reflux…
Des guêpes, çà et là, volent, jaunes et noires. »

 

Ce que nous apporte l’été, c’est de remettre les compteurs à zéro. A la rentrée, la mémoire a besoin de quelques jours pour se retrouver, reprendre les mécanismes habituels, recommencer les rituels un peu rouillés, entre temps, par l’eau salée. Recharger les batteries, reconstituer son énergie : les clichés ont le mérite de ne pas être tous faux.

 

C’est pourquoi, pour la jeunesse, il faudrait faire une priorité des vacances : œuvrer à améliorer les conditions d’études des jeunes, les débouchés des diplômes, l’accès à l’emploi, est indispensable, mais favoriser et soutenir les associations qui offrent des vacances, les structures qui accueillent des jeunes pendant les congés sur des séjours plus longs, les personnes qui les encadrent devrait aussi faire partie des priorités politiques, encore trop tournées vers les séniors.

Allons, c’est quoi l’été ? « L’insensibilité de l’azur et des pierres » comme pleurait Mallarmé, plus les soirées qui ne devraient jamais finir, suspendues entre chaleur de la journée et douceur du soir qui tombe.

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