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La ville est un livre, la ville est en livres

genreurbainMes pérégrinations dans le 20ème me conduisent souvent à la librairie « Le genre urbain » désormais installée au 60 rue de Belleville, grâce à la SEMAEST, la Ville de Paris et à la mairie du 20ème.  Cette librairie est surtout dynamique grâce à Xavier Capodano qui l’anime avec conviction et talent. Si j’y vais régulièrement, sans doute pas autant que je le souhaiterais, c’est parce que j’aime m’acheter des livres sur l’urbanisme, et sur Paris en particulier. Ma bibliothèque personnelle compte plus de 80 ouvrages sur notre ville, c’est d’ailleurs son seul rayon thématique, hélas ! Au genre urbain, je trouve et je commande des ouvrages spécialisés ou grand public sur le sujet, mais ensuite je ne trouve pas forcément le temps de tout lire !

Il y a un lien particulier entre Paris et la littérature, mille fois commenté, et plus habilement que je ne le ferais. « Le vieux Paris n’est plus (la forme d’une ville Change plus vite, hélas ! que le coeur d’un mortel) », ce vers de Baudelaire extrait du Cygne, ressassé, montre cet attachement empreint de nostalgie. Des mystères de Paris d’Eugène Sue au piéton de Paris de Léon-Paul Fargue, en passant par tous les autres, Jacques Roubaud, Jacques Reda, Victor Hugo, Raymond Queneau, Paris est une scène où jouent les personnages de romans et de pièces de théâtre, avant que le cinéma ne s’en saisisse à son tour. Paris est magique, et il a été rendu magique par le génie des écrivains. Le récent livre du philosophe Alexandre Lacroix en témoigne encore : les lieux de Paris transportent décidément bien des muses.

Le lien n’est pas unilatéral : Paris a certes inspiré des auteurs, mais la littérature jalonne aussi la ville. Noms de rues ou de places bien sûr, plaques apposées sur les immeubles « ici vécut … ici mourut… », forment un continuum de références aux écrivains (c’est un guide touristique à soi-seul). Les librairies maillent le territoire et exercent un fort attrait sur les passants, riverains, occasionnels ou habitués. Louons une fois encore la loi sur le prix du livre qui les sauva ! Dans le 20ème, nous avons eu la chance d’assister à une poussée vivace de librairies ces derniers temps (et de la soutenir) : 18 librairies indépendantes y sont recensées, et la floraison récente fut belle. Ne nions pas les difficultés auxquelles elles sont confrontées : concurrence déloyale d’Amazon, prix des loyers, contraintes sur le pouvoir d’achat des lecteurs, progrès du livre numérique, etc. Les enjeux sont bien connus, et ne nous y trompons pas : l’est parisien résiste parce qu’aucun géant du secteur n’y est installé. Elles résistent aussi parce qu’elles ont eu l’intelligence de se regrouper dans la structure Libr’est afin de mutualiser commandes, communicatin, etc. Ce jalonnement de Paris, de librairies en librairies, est indispensable à la qualité de vie. Je salue donc le plan annoncé par la Ministre de la culture pour aider ce secteur si important. Ces mesures sont bienvenues.

Une façon de prolonger aussi la présence de la littérature dans la ville, c’est de l’insuffler dans l’espace public. Cette année, au cours de la 5ème édition du festival Et 20 l’été !, le poématon de la compagnie Chiloe a susurré ses poèmes aux oreilles des passants surpris et ravis. La mairie du 20ème a aussi soutenu les Effleurer de la Clac compagnie, qui récite calmement et doucement des poésies au public. L’art dans l’espace public, c’est aussi la circulation des textes à travers nos rues, et de nombreux artistes portent cette agréable vision. Les mots courent mieux de bouches à oreilles sous le ciel – même parfois calamiteux – de Paris ! Cela coure, donc cela marche bien !

C’est que la ville dans sa réalité est déjà poésie elle-même. A cet égard, le très joli titre retenu par Jean-Christophe Bailly pour son ouvrage l’illustre à merveille : oui, elle existe bien, « la phrase urbaine », une grammaire des immeubles parisiens, une syntaxe des espaces publics, avec des paragraphes (quartiers ou ilots), une ponctuation (le mobilier urbain et les enseignes), des chapitres (par arrondissements !), un fil directeur (chacun tire le sien : la Seine et les canaux ? Les places ? Les cimetières et espaces verts… La pelote est tellement tissée !), mais sans début ni fin. Quant à l’histoire, c’est un récit en cours. La ville se lit comme un livre, en amateur pour se divertir, en connaisseur aussi pour le plaisir de reconnaître styles et époques, voire en spécialiste pour décortiquer strates d’aménagements et de démolitions…

Ce que montre bien le livre de Bailly, à l’instar d’une étude de l’APUR sur la trame viaire, c’est une caractéristique parisienne forte : à Paris, c’est la rue qui fait la ville. L’espace public représente 26% du territoire parisien, presqu’autant qu’à Barcelone, réputée pour sa générosité en la matière (30% de la ville), alors que dans les communes de l’agglomération parisienne, la moyenne tombe à 15%, et parfois moins. Plus on s’éloigne de Paris, et moins il y a d’espaces publics. C’est la rue qui donne à Paris son unité, si prisée des touristes, qui façonne son harmonie, qui lie les couches entre elles : malgré les opérations d’urbanisme, les destructions, les changements, la trame viaire, stable, structurée, assure la cohérence, tout s’y superpose, tout y glisse, et la ville est un livre lisible. La force de la ville repose là-dessus : les avenues, les boulevards pour passer d’un quartier à l’autre puis les rues, les passages qui desservent finement les quartiers, avec les places pour redistribuer et répartir les flux…

Refaire la rue sera un des points-clefs du Grand Paris, afin d’aller plus facilement aux 70 gares à construire à vélos ou à pied, de tisser les boulevards urbains, d’apaiser les flux de marchandises, de transports collectifs et de voitures. Quoi le Grand Paris, ce n’est pas que le transport lourd, le logement, le plan climat ? Hé oui, si le Grand Paris passait par la rue, qui l’eût cru ?

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