Culture Fabrique

L’art fait grandir

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La question de l’éducation artistique est au cœur du débat sur les politiques culturelles, et espérons-le, au cœur des priorités du futur Gouvernement de gauche dans notre pays. Le programme du Parti Socialiste, qui offrait une portion pourtant trop congrue à la culture, l’avait retenu comme priorité en juin 2011. La contribution sur la culture du PS présentée au festival d’Avignon en juillet et qui développait enfin les propositions, avait poursuivi dans la même voie. Martine Aubry met également cette question en avant, et l’a évoqué à plusieurs reprises. Christophe Girard, dans une récente tribune au journal Libération, en faisait aussi un pilier pour le programme du futur Gouvernement. Bref, hors de l’éducation artistique, point de salut pour une politique culturelle de gauche !

De quoi s’agit-il exactement ? Et d’abord que signifient les termes ? L’éducation artistique est-ce la même chose que l’enseignement artistique, que la culture à l’école, que la culture générale ? Parle-t-on de transmission de savoir, de pratique personnelle ou d’éveil, d’épanouissement ? C’est précisément la question de la culture qui fait la jonction entre éduquer, enseigner et transmettre : pour éduquer le citoyen, une base de connaissances communes est indispensable au sentiment d’appartenance à la communauté des citoyens ; pour former les élèves, un contact avec la pratique artistique est nécessaire ; pour préparer l’avenir, les savoirs accumulés dans les siècles passés, les découvertes et connaissances doivent être transmis aux générations nouvelles, qui les enrichiront à leur tour.

L’art fait grandir le petit de l’homme, comme condition de son épanouissement. Aussi la culture générale me paraît autrement plus stimulante que le retour des cours de morale, et quitte à passer pour un regard, les Fables de La Fontaine sont toujours la source d’une leçon bien plus enrichissante qu’une phrase au tableau – le style en plus ! Avec la littérature, le dessin ou la musique, tout est ambigu… Qui a raison, la cigale ou la fourmi ? Le moraliste est moins unilatéral qu’il n’y paraît, et voilà comment grâce aux plus beaux textes de langue française, le débat peut surgir. La poésie d’abord, ensuite la morale ; ou plutôt, la poésie, donc l’humanisme !

Revenons un instant aux objectifs : enseigner la pratique artistique, transmettre l’histoire de l’art, c’est vouloir lutter contre les inégalités à la racine. Rien de plus distinctif que la connaissance, et en particulier la culture générale. Entre un enfant qui a la chance d’aller au musée, au cinéma, au théâtre avec ses parents, et celui qui ne l’a pas, une dynamique de l’inégalité se crée très vite, qu’il est très difficile de rattraper. Les codes culturels acquis au sein de la famille prennent une valeur inestimable, en termes d’emploi, de potentiel, de vie sociale. Nous connaissons heureusement des exceptions, des personnalités d’une immense culture, d’un savoir académique, d’une érudition joyeuse, dont l’origine sociale, géographique ou familiale n’était pourtant pas favorable. Ces personnalités ont en général un don de la transmission et du partage de leurs connaissances, et c’est un bonheur d’en croiser. Hélas, les statistiques sont cruelles et Bourdieu a encore raison : le capital culturel est devenu la matrice des inégalités dans nos sociétés. Inversement, la culture est le fondement d’une société des égaux, pour reprendre le titre du bel ouvrage de Pierre Rosanvallon.

C’est tout l’honneur de la gauche : vouloir qu’une politique publique puisse combler de tels écarts, puisse compenser les différences de départ, puisse inverser le cours prétendument naturel des choses… C’est un rêve, une utopie que nous ne devons pas lâcher. Ce cap, si on veut honnêtement le garder, doit aboutir à un impératif : c’est à l’école que se joue l’égalité des chances et donc l’acquisition d’une culture générale (englobant l’histoire de l’art, j’y insiste), ce qui implique de donner plus de moyens à celles et ceux qui partent avec un handicap de fait. C’est une révolution des mentalités dans le fonctionnement de l’Education nationale qu’il faut opérer. 15 ou 20 élèves par classe ici, 30 ou 35 là. Un changement de perspectives… Je me souviens de cette anecdote : un professeur des écoles en grande section de maternelle avait repéré les cinq – six élèves les plus en avance et se proposait de constituer un petit groupe afin qu’ils arrivent en élémentaire en sachant déjà lire, écrire et compter. « Pourquoi ne choisissez-vous pas plutôt de suivre avec attention les cinq les plus en retard afin de les remettre à niveau de la moyenne ? » avait eu le courage de répondre une mère d’élève.

Bien sûr, tout le monde ne deviendra pas féru d’opéra, spécialiste de la civilisation japonaise ou érudit de l’expressionnisme allemand… Qu’importe, à partir du moment où chacun a été placé dans la situation d’avoir le choix. Qui ne connaît des fans de théâtre rétifs à la musique, des amateurs éclairés de sculpture insensibles au jazz ou des parfaits connaisseurs de l’art africain restant de marbre devant le cinéma italien de l’après-guerre ? Personne ne peut tout aimer, tout embrasser, tout connaître, mais tout le monde – ou le plus de monde possible – a le droit à la rencontre avec l’art et la culture, fut-elle infructueuse, une première, une deuxième, une troisième fois… Il faut pouvoir dire « je n’aime pas… » et pour cela il faut avoir eu la possibilité au moins de connaître, d’être mis en contact prolongé, de découvrir la palette des choix.

Evidemment, nous ne partons pas de rien. L’art est déjà présent à l’école. Cependant, la naissance du Ministère de la culture, séparée du Ministère de l’Education, ne se déroula pas sous les meilleurs auspices pour l’enseignement artistique. Cette fracture Education / Culture ne fut jamais réduite. Malraux avait une conception immédiate de l’œuvre qui devait frapper dans son évidence et sa beauté tout un chacun et peu de goût pour la question de la transmission – cet héritage perdura. Lang, qui fut le seul à cumuler les deux ministères, brièvement (de 1992 à 1993) est aussi l’un de ceux qui s’attacha le plus à développer l’enseignement artistique, y compris à son retour au Ministère de l’Education Nationale en 2000. Il créa ainsi les classes dites à « Projet artistique et culturels » en juin 2001, avec Catherine Tasca, qui restent le dernier dispositif d’envergure inventé pour insuffler de l’art à l’école, certes pas le seul. L’échec de la gauche en 1993 et 2002, la succession de ministres de la culture, l’absence d’ambitions et de moyens depuis dix ans empêchent d’en faire le cœur d’une action résolue et constante.

La nature ayant horreur du vide, les collectivités locales ont pris le relais de l’Etat, comme souvent. Paris a une avance historique avec la spécificité des professeurs de la Ville de Paris qui, payés par la Ville, interviennent dans les écoles sur les matières artistiques. Il est vrai que tous les professeurs des écoles ne peuvent systématiquement savoir chanter ou dessiner, cela me semble logique. C’est une chance dont bénéficient les petits parisiens et les petites parisiennes, et il faudra étendre un dispositif similaire dans les quartiers qui en auraient bien besoin dans toute la France, mais compte tenu des finances du pays, en ciblant dans les zones prioritaires. De même, toujours à paris, le Gouvernement pourrait s’inspirer de l’opération « L’Art pour grandir » qui prévoit par exemple l’installation d’œuvres d’artistes contemporains dans les écoles maternelles, élémentaires et les collèges et des partenariats entre des structures de la Ville (Musée Carnavalet, Théâtre de la ville ou du châtelet…) et des classes dans les quartiers défavorisés de la capitale. Plus modestement, l’action lancée par la mairie du 20ème arrondissement « Le théâtre, c’est la classe ! », consistant à inviter tous les élèves de CM2 à une représentation théâtrale, avec une action de médiation culturelle en amont et en aval, relève d’une logique identique, et les exemples abondent. Il ne faut pas d’ailleurs brimer ces expériences locales, car les idées venant du terrain s’appuient sur les dynamiques de réseaux associatifs ; au contraire, il faut les renforcer, en donnant les moyens aux collectivités qui en ont le plus besoin.

Ensuite, l’histoire de l’art et la culture générale ne doivent pas rester les oubliées de l’éducation en lien, en transversalité avec les autres matières. J’exagère car elles ont fait leur entrée dans les programmes, mais surtout d’histoire, et les enseignants talentueux et imaginatifs font passer aux élèves leur savoir. Je le réaffirme : il s’agit d’un marquer social extrêmement fort, les programmes scolaires doivent donc en tenir davantage compte. Quelques mots en mathématiques, en SVT,  sur l’histoire des sciences ne sont pas de trop. Retracer l’histoire de l’architecture, de la perspective, du trait et de la couleur non plus. Certains professeurs le font bien sûr. Impossible aussi et contre-productif de gaver les enfants comme les oies. Juste cette idée qu’une conscience citoyenne et responsable doit avoir été éclairée, que l’esprit critique peut être éveillé, qu’argumenter s’apprend. Le recul constaté au lycée pour l’enseignement de l’histoire est en ce sens plus qu’alarmant et va à rebours du chemin qu’il faudrait emprunter.

Enfin, la rénovation des cours de musique et dessin ne peut être laissée de côté. L’abandon de la flûte à bec qui vient d’être annoncée offre un soulagement posthume à de nombreuses générations traumatisées et met un terme à une imbécillité criante – je sens pointer le débat. Au-delà, la pédagogie visant à développer le goût d’une pratique artistique mérite sans doute d’être encore modernisée, en faisant appel, lorsque cela est possible, aux artistes aussi, vidéastes, cinéastes, plasticiens travaillant dans les écoles, collèges, lycées. Quand les projets existent, ils sont fragiles financièrement.

Projets innovants de médiation culturelle – Intervention d’artistes et de spécialistes dans les écoles, collèges, lycées – Transversalité de l’histoire de l’art, des sciences et des savoirs renforcée autour des équipes pédagogiques, voilà un triptyque possible.

Et les conservatoires, les écoles des beaux-arts, les écoles supérieures ?  Je le note dans un coin pour des articles à venir. Sujets ardus. Je voulais juste écrire, pour terminer, sans me prendre pour un Victor Hugo d’opérette, une formule du genre « lançons les étincelles de culture qui enflammeront les esprits éclairés de demain ».

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One Comment

  1. Formidable intervention qui expose combien le développement des politiques culturelles dans le but de rapprocher les publics de la culture et des œuvres est important. Le passage est particulièrement significatif : Plus modestement, l’action lancée par la mairie du 20ème arrondissement « Le théâtre, c’est la classe ! », consistant à inviter tous les élèves de CM2 à une représentation théâtrale, avec une action de médiation culturelle en amont et en aval, relève d’une logique identique, et les exemples abondent. Il ne faut pas d’ailleurs brimer ces expériences locales, car les idées venant du terrain s’appuient sur les dynamiques de réseaux associatifs ; au contraire, il faut les renforcer, en donnant les moyens aux collectivités qui en ont le plus besoin. C’est en effet par ce type d’initiatives que les progrès sont visibles, en multipliant les interlocuteurs, les contacts avec les personnes. La mise en place de politiques offensives qui s’adressent directement aux publics peut favoriser l’attrait pour la culture. Si ces expériences semblent éphémères, je ne doute pas que leurs effets soient durables. L’éducation culturelle est un processus qui doit prendre du temps. Cet article me rend pleine d’espoir à ce sujet.

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