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L’été de tous les dangers

Dans Rendez-vous à Samarra, publié en 1934 et qui a reparu aux éditions de l’Olivier, l’écrivain John 0’Hara reprend ce vieux conte arabe, selon lequel un homme effrayé de voir la mort lui faire un signe à Bagdad s’enfuit à Samarra pour lui échapper, interprétant mal le message : ce n’était pas un geste de menace, mais d’étonnement que lui adressait la mort, surprise de voir à Bagdad l’homme qu’elle devait trouver … à Samarra. Peut-on échapper à son destin ?

À l’heure où j’écris ces lignes, un gigantesque incendie, toujours hors de contrôle menace les séquoias géants du parc de Yosemite en Californie. Départs de feu volontaires, arrosages préventifs, les pompiers américains s’emploient nuit et jour à protéger les arbres millénaires et le célèbre Grizzly Giant. À Rome, les températures élevés et une mauvaise gestion des déchets déclenchaient un quatrième incendie en quatre semaines, menaçant ce week-end les pourtours de la ville éternelle. En France, la vague de chaleur en cours fait craindre le pire et la sécheresse pousse même de nombreuses communes à annuler les traditionnels et joyeux feux d’artifice du 14 juillet. En Europe du Sud, l’aridité record tourne au cauchemar : l’Italie, notre sœur latine, manque d’ores et déjà d’eau.

À l’est, les Russes recrutent désormais dans leurs prisons pour alimenter le front en hommes et la guerre se poursuit sur le terrain comme dans les médias. Les Ukrainiens ont repris l’initiative avec une intense contre-offensive sur la ville de Kherson. L’offensive russe à l’est ne faiblit pas non plus et d’intenses opérations d’artillerie pilonnent le Dombass, ce bassin minier tant convoité qui jouxte les Républiques (autoproclamées) de Lougansk et Donetsk.

Cet affrontement, qui s’enlise, pourrait ne faire que des perdants. À commencer par les… Somaliens. Car dans un pays dont l’agriculture est durablement touchée par des sécheresses à répétitions, les tensions sur les marchés des céréales ont des conséquences dramatiques. La guerre aux portes de l’Europe a déclenché des phénomènes spéculatifs forts : le 12 juillet 2021, la tonne de blé dur était à 280 €, aujourd’hui, elle avoisine les 455 € après avoir touché les 515 € début juin. Pour le blé tendre, nous sommes passé de 199 € à 352 €, après un pic à 438 € en juin également. Si les ports du Danube servent désormais de point d’export pour le blé Ukrainien, plus de 5 millions de Somaliens sont d’ores et déjà en situation d’insécurité alimentaire. Un chiffre en augmentation constante.

Autre choc inédit : depuis sa création en 2002, pour la première fois, la paire euro/dollar s’échange à un pour un, ouvrant des perspectives incertaines pour les échanges monétaires mondiaux. Véritable choc de compétitivité pour nos industries, cette situation pourrait alourdir nos factures énergétiques et pousser à la hausse les prix des hydrocarbures dont les cours sont indexés en dollars. Cela s’observe chez nos voisins européens les plus dépendants du gaz russe, à commencer par les Allemands qui redécouvrent le déficit commercial.

À peine évacuée par la fenêtre, la voici qui revient à nos portes. L’épidémie de Covid-19 connaît un rebond que nous ne lui suspections pas en ces périodes de fortes chaleurs. Portée par le variant BA.5 et par des Français résolument lassés du masque et des gestes barrières, l’épidémie est particulièrement concentrée – une fois n’est pas coutume – sur les faces Sud et Ouest de l’Hexagone. Les taux d’incidences dépassent 1000 dans plusieurs dizaines de départements, jusqu’à 1570 à Paris.

Source : https://covidtracker.fr/

La révolution Sri-Lankaise illustre ce que pourrait donner la conjonction de crises concentrées sur des territoires. Dans notre pays, la combinaison de décès liés à la pandémie et la canicule porterait à bout la patience des soignants. Face à cela, faut-il s’attendre à cinq années de vocifération et d’instrumentalisation des commissions d’enquête à l’Assemblée nationale ? Ne peut-on espérer des échanges sérieux, fondés sur des convictions qui s’opposent, mais qui se donnent pour objet de traiter les véritables enjeux ?

Je vois se dessiner un dernier danger, encore lointain, diffus, moins évident. Celui d’une contradiction forte entre les impératifs de l’avenir et les aspirations profondes du peuple français. L’optimiste verra dans l’avenir se dessiner le « Monde d’Après » tant attendu : une politique plus apaisée, un Parlement plus représentatif, une décision plus claire, moins technocratique, plus horizontale ; une société plus juste, plus solidaire, l’essor de collectifs citoyens, de dispositifs d’intelligence collective et de démocratie participative, l’extension des droits et des libertés, une prédation moindre sur les ressources naturelles, l’émergence des circuits courts…

Ce monde-là n’est pas soudainement devenu impossible. Heureusement, comme disait Pierre Dac, « la prévision est difficile, surtout lorsqu’elle concerne l’avenir ». Toutefois, nous voyons poindre à l’horizon les premières esquisses de ce que seront les trente prochaines années. A minima crise climatique et gestion de millions de réfugiés climatiques, crise écologique et sans doute alimentaire, transition énergétique radicale pour décarboner au maximum nos usages. A minima, car l’épidémie de Covid-19 qui n’en finit plus, le conflit en Ukraine qui bouleverse l’Europe et le commerce international, et enfin la crise des subprimes pourraient rapidement trouver leurs successeurs.

Historiquement, ce ne sont pas des périodes d’extension des droits et des libertés, encore moins de contre-pouvoirs et de longs débats parlementaires. Si ces temps que je crains adviennent, ils nécessiteront des pouvoirs politiques solides, des administrations souples et réactives, des prises de décisions efficaces et rapides, des citoyens alertes, bien informés et acceptant la discipline nouée par un destin collectif, dès lors que l’autorité est assurée. À rebours parfois des aspirations et de certains comportements des Français ces dernières années.

La France et l’Europe pourront-elles se permettre de nager à contre-courant ? Il appartient aux dirigeants comme aux peuples de prendre de la hauteur, à condition de remettre de la simplicité, de la justice et du discernement, seuls moyens d’obtenir un bien plus que jamais précieux : la concorde.

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