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Pas de présidentielles ? Des législatives !

« La guerre du Golfe n’aura pas lieu » titra le philosophe Jacques Baudrillard un article pour Libération le 4 janvier 1991. Hélas pour lui, il fut démenti. Peu lui importait « La guerre du Golfe a-t-elle vraiment lieu ? » écrivit-il ensuite en février 1991, et finalement « La guerre du Golfe n’a pas eu lieu » se défendit-il fin mars de la même année, après les combats, pour nous expliquer que ces bombardements de loin et leurs fumées vertes n’étaient que virtuels et désincarnés (ce qui n’est pas entièrement faux, si l’on en croit la filmographie américaine qui succéda aux années 1990, riche en drones).

L’histoire se répèterait-elle ? « La présidentielle n’aura pas lieu » en mars, puis « La présidentielle n’a pas eu lieu » aurait pu-t-on écrire le 24 avril. Les législatives, si. Les Français choisissent parmi une offre électorale : le meilleur parmi les 12 candidats à la magistrature suprême était Emmanuel Macron, sans doute possible. Malgré leurs interrogations, leurs hésitations et leurs critiques, nos concitoyens considèreraient que, finalement, le Président avait plutôt bien géré les crises, bien représenté la France sur la scène internationale, et plutôt bien mené les politiques publiques, chiffres du chômage à l’appui. Et qu’aucun autre candidat n’aurait fait mieux ni ne ferait mieux. Tous les sondages le montraient depuis des mois. Tout cela se vérifiait d’ailleurs en jetant un simple coup d’œil aux professions de foi étalées sur la table basse. On ne badine pas avec la présidentielle. Une élection par défaut, faute de mieux, en pleine guerre. Sans souffle, mais sans contestation non plus.

Ajoutons à cela que l’électorat des LR a voulu éviter un duel Mélenchon / Le Pen au deuxième tour, l’électorat Zemmour un deuxième tour Macron / Mélenchon, l’électorat de gauche poussant lui à fond au dernier moment pour ce même deuxième tour espéré Macron / Mélenchon : un précipité chimique de votes utiles les trois derniers jours.

La gauche sociale-démocrate, de gouvernement, en est sorti essorée. Divisée, inaudible, invisible, elle a déçu ses électeurs qui se sont repliés chez Jean-Luc Mélenchon sans l’aduler ni même l’admirer, et souvent en se bouchant le nez. Ah si Yannick Jadot et Anne Hidalgo s’étaient entendus… mais non. Avec des si on mettait Paris en bouteille, périphérique inclus. La gauche en est sortie frustrée.

Le leader de LFI, réceptacle de cette atonie, a su le comprendre et s’en saisir. Nous, soutiens du Président, avons collectivement commis une triple erreur : avoir sous-estimé l’amertume du peuple de gauche, avoir sur-estimé la détestation du chef de l’extrême gauche, avoir sur-joué la peur suscitée par son programme. Pour la gauche, l’unité est en soi un talisman, quels que soient le chef et le contenu. Il suffit de voir les regards énamourés que jettent Bayou et Faure à leur nouveau leader dans les réunions : ils semblent voir en lui le nouveau Mitterrand. Ou en tout cas ils le feignent.

Le résultat est là : la seule nouveauté fut le retour de l’union à gauche, fût-elle extrême, privée de toute réelle crédibilité intrinsèque, mais peu importe ! Au diable les détails et les désaccords ! À la rivière, les insultes et rancœurs passées ! La campagne des législatives n’eut qu’un seul tempo, qu’un seul credo : la NUPES fut et fit l’évènement. Sans espoir de victoire, si ce n’est d’empêcher l’autre de triompher, ce qui est déjà énorme. La trahison avec les valeurs progressistes est certes considérable. Que le projet soit effrayant, inapplicable, démagogique, démodé, tout ce qu’on voudra, n’entre même plus en considération : le contenant a évincé le contenu, qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ! De notre côté, il nous a manqué un rêve pour renverser le cauchemar. Un récit qui embarque pour éviter les récifs. Un projet qui mobilise pour échapper au rejet qui déstabilise. Cela nous a affaiblit, et réduit les effectifs à la fin.

Pendant ce temps, adoptant la tactique de l’oiseau blessé, qui clopine devant le prédateur pour mieux s’envoler au dernier moment, Marine Le Pen fourbissait ses troupes sous le radar. Oubliée des foudres de la majorité comme de la gauche, elle passait entre les gouttes de l’orage qui tonnait entre Macron et Mélenchon. Pour son plus grand bénéfice : le plafond de verre se craquelait en silence, comme le vase dans les vers de Sully Prudhomme (« ni touchez pas, il est brisé ») et pire les reports se préparaient.
Pas de front républicain contre (alors qu’on a insisté sur la confusion et des divergences du côté d’ensemble en cas de duel RN / Nupes, rappelons que pas un candidat Nupes n’a appelé à voter Ensemble contre le RN). Pas d’abstention systématique non plus. Non, un vote pour le RN au deuxième tour, invisible, tranquille.

Mélenchon n’est pas Premier Ministre, comme prévu. Il n’a pas de majorité, loin de là : il ne l’a jamais voulue. Mais le Président non plus. Tout était là. Lacan l’a emporté sur Baudrillard : le véritable objet du désir, ce n’est pas de posséder un bien, mais d’en priver l’autre.

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