Culture Fabrique

Retour sur Avignon… 2010

FestivalAvignon2010

Au moment où s’ouvre la 65ème édition du festival d’Avignon, il est bon de revenir sur celle de l’année dernière. Et que (re)découvre-t-on ? Que parfois les artistes comme les programmateurs ont un talent certain d’anticipation. Avignon 2010 a tremblé des annonces démiurgiques des événements à venir. Nous le savons : c’est la nature ou l’histoire qui copient l’art, et non l’inverse.

Car quel était le sentiment qui s’en dégageait, en tout cas pour certains d’entre nous ? La forte intuition que les pouvoirs, sous toutes leurs formes, qui s’affichent comme solides, sont en réalité fragiles, en voie de dissolution progressive, menacés de disparition, telles les espèces d’animaux les plus rares. Comment ne pas ressentir, ex post, tout cela comme une préfiguration poétique et spectaculaire de l’effondrement des régimes autoritaires entre-temps survenu ? Le sujet d’Avignon 2010, c’est que l’autorité vacille, glisse, bascule.

Le pouvoir fait place nette – et n’est remplacé par rien. Rarement autant de spectacles auront eu l’audace artistique et le courage politique  de se permettre de laisser la scène vide quelques secondes, quelques instants ou plus. Sans chercher à faire des liens faciles – et qu’il ne faudrait peut-être ne pas tisser – le rapprochement, après coup, semble l’évidence même, du grand plateau du palais des papes laissé désert sous les grondements (de la révolution ?) et les tremblements saisissants dans Papperlapapp de Christoph Marthaler, jusqu’au chalet un moment inoccupé des fêtards désenchantés d’Un Nid pour quoi faire d’Olivier Cadiot / Ludovic Lagarde, en passant par la forêt immaculée et nimbée de Gisèle Vienne pour un spectacle justement intitulé Comment tu vas disparaître.  Même les convives du Baal de Bertold Brecht laissent la cour du cloître des Célestins un moment tranquille au milieu de leur ivresse. C’était littéralement montrer le vide du pouvoir, ou aucun agencement nouveau ne vient coïncider, au moins provisoirement.

Plus directement encore, plusieurs spectacles faisaient de cette chute, ou plutôt de cette déperdition, leur matière même : le Papperlapapp déjà cité sur celui du Vatican (l’année écoulée nous a d’ailleurs montré un pape désemparé qu’est venu confirmer Nanni Moretti à Cannes avec son cardinal refusant le pouvoir), les imprécations ininterrompues dans L‘année de Richard d’Angelica Liddell, contre toutes les dictatures, à partir de la figure de Richard III (et nous en avons vu depuis des Angelica dans les rues de Tunis ou du Caire…), le renoncement forcé de Richard II dont l’abdication tient moins à une déchéance personnelle qu’à une faillite sous-jacente du système monarchique… Quand l’impuissance se célèbre, nous ne sommes pas loin de ces Etats sans gouvernements depuis… depuis combien de temps déjà ? A Avignon, les rois, prétendument au centre de l’action, étaient des pantins ridicules et désarticulés – déjà Ben Ali et Moubarak perçaient sous Shakespeare et consorts.

Les artistes se gardaient bien d’apporter des solutions qui relèvent d’une autre sphère. C’est aussi parce qu’il n’y a plus grand chose en quoi avoir confiance (Trust, en anglais, titre ironique choisi par Falk Richter et la Schaubühne Berlin pour un spectacle où justement toute confiance en quoi que ce soit avait là encore entièrement fondu)… Pas plus la jouissance sexuelle indissociable de la violence débridée dans le Baal brechtien mis en scène par François Orsoni que le recommencement dérisoire et décalé du Big Bang de Philippe Quesne et son vivarium Studio comme reconstitution aberrante de l’origine de tout. Peut-être, envers et contre tout, croire encore à l’amour et au couple, repli cellulaire quand les pouvoirs se retirent, l’amour du cantique des cantiques magnifiquement traduit par Olivier Cadiot, superbement mis en musique par Rudolphe Burger et idéalement interprété par Valérie Dashwood et Laurent Poitrenaux. C’était splendide. Seul un cynique grincerait avec Mallarmé : « Un ennui désolé par de cruels espoirs / croit encore à l’adieu suprême des mouchoirs (…) »

Patience pour Avignon 2011, les désarrois de l’enfance dessineraient les drames des récits…

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