Phynances

Vieille lune fiscale

Au moment où le Président de la République annonce 2 Mds € de baisse d’impôt sur le revenu, Jean-Luc Mélenchon a trouvé malin de ressortir une vieille martingale de son chapeau usé de magicien, selon laquelle tout le monde devrait payer, au moins symboliquement, l’impôt. D’autres, à droite, tels Bruno Le Maire ou Alain Juppé, avaient fait peu ou prou la même sortie, suggérant qu’aucun bout de l’échiquier n’est épargné par cette fausse bonne idée. Elle ressurgit périodiquement, surtout lorsque les statistiques indiquent une réduction du nombre de foyers soumis à l’impôt sur le revenu. Elle procède d’une méconnaissance de notre système fiscal, et d’une confusion, hélas ancrée dans nos esprits, qui consiste à réduire l’impôt au seul impôt sur le revenu. Déclaratif, sensible, à échéances fixes (déclaration à faire au printemps, avis reçu à la rentrée), il est très visible, à tel point que beaucoup finissent par oublier qu’il représente une part très minoritaire des prélèvements en France. Les cotisations sociales, la TVA, la CSG rapportent plus.
Par conséquent, les classes populaires sont déjà largement soumises à l’impôt. Elles en paient même plus, proportionnellement, que les classes favorisées, car elles épargnent moins et consomment plus : le poids relatif des impôts à la consommation (TVA, essence, tabac, alcool) est plus important dans leur budget. C’est le principal effet pervers de la proposition Juppé – Mélenchon : faire oublier que, via la TVA notamment, mais aussi les cotisations sociales et la CSG ou la CRDS, personne n’échappe aux prélèvements de toute nature, et certainement pas les plus pauvres. Ce sujet est très documenté, par de nombreux rapports, notamment du Conseil des prélèvements obligatoires : la TVA devient dégressive pour les 10% les plus aisés (ce qui épargnent plus), la proportionnalité des cotisations pénalise les bas salaires (d’où les ristournes accordées progressivement), les ménages éloignés des centres-villes paient davantage, en proportion, de taxe sur l’essence. Seuls l’ISF et les droits de succession viennent compenser cette situation, en faisant contribuer les fortunes (la rente disent les économistes). Bref, oui, les moins aisés participent déjà à l’effort fiscal : il faut le marteler, « ils paient des impôts », même si on le voit moins que l’impôt sur le revenu.
De plus, les foyers défavorisés perçoivent l’essentiel des aides sociales (à l’exception de la part des allocations familiales non soumise aux conditions de ressources) : à quoi cela sert-il de reprendre symboliquement 10€ sur des minima sociaux versés par ailleurs ? Sinon à inventer une nouvelle usine à gaz ? Et cela, d’autant plus que les revenus de remplacement sont soumis à la CSG, qui est une imposition sur le revenu, et donc représente déjà un effort contributif ? Certes, prélevée à la source, la CSG se voit moins, mais faut-il s’accrocher à la symbolique ? Cela revient au même, en réalité.
Autant il est compréhensible que des allocations ne couvrent pas la totalité des besoins, laissant une petite part à financer par les ménages (par exemple pour le logement, la plupart des associations oeuvrant dans le champ de la solidarité sont attachées à l’idée d’un « reste à charge », même faible, qui oblige à bâtir un budget), autant cela n’a aucun sens d’ajouter, par surcroît, un prélèvement supplémentaire. Ce qui vaut pour une dépense d’intervention ne vaut pas pour un impôt : mieux vaut rendre plus cohérent le système fiscal avec les allocations sociales, pour construire un système « fiscalo-social » lisible, transparent et compréhensible. C’était le sens de la fusion entre la prime pour l’emploi et les minima sociaux, réforme qu’il ne faudrait pas renvoyer aux calendes grecques, ni même allemandes. En attendant, le gouvernement a raison d’alléger l’impôt sur le revenu des classes moyennes.
Il a également eu raison de s’engager dans le prélèvement à la source, même si l’horizon de 2018 est bien éloigné : une fois l’IR moins sensible, la proposition farfelue exigeant 10 ou 50 ou 100 € par an des plus pauvres, qu’il faudrait leur rendre de toute façon, disparaîtra. L’urgence est bien de soutenir, au contraire, le pouvoir d’achat des ménages défavorisés et des classes moyennes, pour accompagner le retour de la croissance. Cette réforme doit se prolonger avec celle fusionnant l’IR et la CSG, assise sur un mécanisme d’allocation universelle de base, et forte de sa simplicité : pour les plus pauvres, une allocation qui correspond à l’ensemble des minima sociaux et gomme la CSG, la rendant enfin progressive ; pour les couches populaires et classes moyennes, seule la CSG commence à jouer ; au-dessus, à partir des classes moyennes supérieures, l’impôt sur le revenu s’enclenche, assurant son rôle de redistribution. Pour aller plus loin, il faudrait aussi afficher seulement une grille de taux progressifs, plutôt que ces tranches actuelles trompeuses : les ménages pensent qu’ils sont taxés à leur taux marginal, alors que le taux moyen réellement payé est plus faible. Pour couronner le tout, le remplacement du quotient familial et conjugal par un système plus moderne permettrait de ne plus discriminer les femmes mariées (reliquat paternaliste de notre fiscalité !). La quasi-disparition des niches fiscales nombreuses, maintes et maintes fois dénoncées (500 dispositifs recensés par la cour des comptes), coûteuses (70 Mds €), injustes (elles bénéficient aux mieux informés et aux plus fortunés, qui sont souvent les mêmes) et illisibles (elles remettent en cause le principe de transparence), autoriserait une baisse des taux bienvenue.
A chaque impôt son objectif. A la TVA, avec son assiette large, et qu’il est même possible de simplifier encore, comme le préconise la Cour des comptes, le rôle d’assurer des recettes publiques. Aux cotisations, celui de financer la partie de la protection sociale liée au travail (retraites et accidents). Aux droits d’accises, celui de lutter contre des comportements jugés néfastes (tabac, alcool, et énergie dans une logique de transition). A l’impôt sur les sociétés, celui de faire participer les entreprises aux politiques publiques dont elles bénéficient par ailleurs. Et à l’impôt sur le revenu, celui de rétablir la justice sociale en redistribuant. Ce serait paradoxal de faire payer les pauvres !

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