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5/ Le monde, le lendemain : les économistes en première ligne

Le deuxième paquet budgétaire a été adopté rapidement après accord des deux chambres, et c’est heureux : l’urgence est aujourd’hui de sauver notre économie et de protéger l’emploi. Il n’est évidemment pas interdit de cogiter sur l’après. Notre pays dispose de références solides et reconnues internationalement dans tous les champs des sciences humaines. Il serait regrettable de ne pas mobiliser ces intelligences, dans leur diversité, pour établir des scénarios de sortie de crise et de réinventer notre modèle de développement. Le moment ne doit pas être à la paresse intellectuelle, mais au contraire à l’émulation. Il est temps de réconcilier notre pays avec la prospective.
Il ne s’agit pas de rendre un rapport de plus, mais de faire travailler ces scientifiques en réseau, ensemble dès cet été, pour l’intérêt du pays et en y allouant les moyens nécessaires. Ainsi, il me semble important d’avoir une composition très large – de Jean Tirole à Thomas Piketty, en passant par Esther Duflo et Olivier Blanchard. Cela doit également conduire à mobiliser les travaux de recherche économiques et économétriques réalisés dans nos universités et écoles – par exemple l’Ecole d’Economie de Paris, l’OFCE ou la Toulouse School of Economics, mais également dans les grandes institutions publiques (Banque de France, INSEE) et privées (think tanks et ONG, analystes des établissements financiers).
Le Conseil d’Analyse Economique (CAE), placé auprès du Premier Ministre, remplit déjà cette fonction d’évaluation et de proposition en matière économique – mais pourrait s’ouvrir et adapter son fonctionnement à la situation inédite que nous traversons.
Keynes affirmait, avec son ironie coutumière toute britannique : « Tous les hommes politiques appliquent sans le savoir les recommandations d’économistes morts depuis longtemps et dont ils ignorent le nom ». Heureusement, nous avons la chance d’avoir des économistes, mais également des sociologues, des historiens, des philosophes, très actifs. Le rôle du politique, a fortiori en temps de pandémie, est de mobiliser les ressources, toutes les ressources, dont il dispose pour tracer des perspectives à court, comme à moyen et long terme.
Cette démarche n’a pas pour but de déléguer la décision publique à des « experts », mais de faire en sorte que les décisions de sortie de crise et les transformations que nous devrons faire soient suffisamment éclairées. Le politique tranche « in fine » et en assume les responsabilités devant l’opinion.
Je ne vais pas énumérer toutes les questions qui pourraient être étudiées, mais toutes sont stratégiques :
- Les moyens devant être alloués pour la prévention des maladies infectieuses, type Covid-19 ;
- La nouvelle organisation du travail (à commencer par le télétravail) ;
- Les conditions d’une politique de relocalisation efficace, et ses incidences en matière de politique de la concurrence ;
- Les modalités d’une autonomie alimentaire au niveau national et européen ;
- L’impact du réchauffement climatique sur certains secteurs d’activité (tourisme et hôtellerie & restauration ; transport aérien) ;
- Le financement et les terrains de la transition énergétique, à taux de prélèvements obligatoires constants ;
- La réduction des inégalités devant les soins et la revalorisation des carrières.
On l’aura compris. Il m’apparaît plus que jamais nécessaire de faire « phosphorer », en groupes de travail thématiques et sans brimer les différences. Keynes encore : « la difficulté n’est pas de comprendre les idées nouvelles, mais d’échapper aux idées anciennes ».