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Et si on reparlait et repartait des partis ?

Dans une fameuse nouvelle d’Edgar Allan Poe, la lettre volée que tout le monde cherche est en fait posée en évidence dans l’entrée : personne ne voit ce qu’il a sous son nez. De même, il arrive qu’on rate l’éléphant dans la pièce, selon l’expression consacrée.

Et si les évidences que nous ne distinguons plus dans le brouillard de cette situation embrouillée, c’étaient les partis ? Nous sommes braqués sur l’Assemblée nationale sans majorité absolue, voire le Sénat dont le rôle reste à dessiner dans ce contexte, et bien sûr le Gouvernement remanié et équilibré qui doit réussir à exister, à tenir et à transformer. Certes les responsables de parti ont été consultés dans une première phase, mais le mistigri est vite repassé aux chefs de groupe à l’Assemblée.

Pourtant, les mouvements politiques sont aussi au cœur de la crise politique actuelle : le rejet dont ils font l’objet est aussi à l’origine de l’abstention massive, de la défiance vis-à-vis du personnel politique, de la perte de sens idéologique. Il n’y aura pas de reconquête du politique sans redéfinition du rôle central que devraient jouer les partis.

Certes, leur fonction est dépréciée en France depuis fort longtemps. Notre pays ne leur a jamais laissé la part belle. La césure avec les syndicats à gauche au début du XXème siècle les a privés de troupes fournies, contrairement à nos voisins italien et allemand. À droite, les conservateurs n’ont jamais réellement apprécié cet outil, les gaullistes encore moins. Impopulaires, peu structurés, peu implantés, les partis n’ont jamais prospéré en France comme ils ont pu le faire en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis, avec des systèmes politiques très différents.

La période inédite que nous traversons constitue une occasion en or pour essayer de les revaloriser. Comme l’écrivait Churchill, « un pessimiste voit la difficulté dans chaque opportunité, un optimiste voit l’opportunité dans chaque difficulté ». C’est le moment d’occuper trois fonctions décisives :

  1. Bâtir les imaginaires collectifs dont nous avons tant besoin. Il ne s’agit pas d’être doctrinaire, mais doctrinal. Le temps de la réflexion est vaste d’ici les prochaines échéances, fonçons !
  2. Incuber les talents. Les mouvements politiques ne sont pas toujours doués en termes de gestion des ressources humaines ni de gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences. La jeunesse s’engage de façon différente aujourd’hui, parfois sur des temps plus courts (par exemple en participant à une opération d’une ONG mais pas à la suivante, à une campagne militante mais pas à la suivante non plus, à des manifestations pour un combat particulier mais pas aux autres). Révolue l’époque où un militant syndicaliste défilait sur tous les sujets à l’appel de sa formation… Pour autant, l’enthousiasme et l’envie ne se démentent pas. Aux partis et notamment ceux de la majorité d’inventer un nouvel éventail de possibilité, pour jouer sur toutes les gammes du clavier militant.
  3. Former les militants et au-delà. Les partis sont des intercesseurs d’éducation populaire. J’ai ainsi pu noter à quel point les adhérents de Renaissance à Paris sont preneurs d’histoire des idées politiques ou de l’évolution de la capitale ; partout, ils sont partants pour des formations. Redonner une culture politique large, c’est pouvoir s’appuyer sur des citoyens éduqués, éclairés, éveillés, en revenant à l’utopie de la Révolution française. Recréons les écoles des partis !

Max Weber, dans Le savant et le politique, notait déjà que le rôle des partis se limitait trop souvent à distribuer les postes, et qu’il s’ensuit « une prolétarisation spirituelle chez leurs partisans ». Dans une démocratie représentative, tous les citoyens ne peuvent êtres candidats : il faut donc les sélectionner, et les partis sont là pour ça, passant ainsi sous le contrôle de notables qui dirigent au nom de leur charisme (toute ressemblance…). Aussi la question n’est-elle pas seulement celle des leaders incarnant des idées, mais bien de réanimer leur cœur de métier au-delà des personnalités : faire vivre, par l’éducation du citoyen, par la récompense de l’engagement, par la réflexion de fond, une démocratie de qualité.

Faisons du judo, réactivons et réarmons les partis politiques. Pour paraphraser le poète Heredia : ils sont « fatigués de porter leur misère hautaine ».

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