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État profond, révolution administrative et relance démocratique – 1/2

Le rapport récent de l’Institut Montaigne sur la crise du coronavirus jette un pavé dans la mare. Certes, il y avait déjà eu des articles ou des tribunes sur la façon dont l’État a géré la crise sanitaire, mettant notamment en relief le rôle des agences régionales de santé, souvent sur la sellette. Cependant, il s’agit cette fois d’une note d’analyse fouillée et détaillée. Contrairement à ce qui a été dit, ce rapport critique moins le gouvernement actuel que le fonctionnement intemporel des institutions dans notre pays. En cela, il n’est pas polémique – et d’ailleurs, il n’en a pas suscité, trop technique pour faire le buzz.
Avant d’entrer dans son contenu, notons qu’il rejoint le constat d’un état de défiance durable des Français – plus que nos voisins européens – à l’égard de nos institutions politiques, analysé, commenté et vite oublié. Certains, un peu gonflés ou dans un déni complet, font débuter ce divorce à l’élection d’Emmanuel Macron, alors que cette défiance s’ancre dans le paysage depuis au moins vingt ans. On peut choisir de faire l’autruche : niveau d’abstention observé lors des élections législatives et municipales, propagation des théories du complot via les réseaux sociaux, retour en grâce d’un discours identitaire et/ou communautariste, banalisation de la violence à l’encontre des élus et même tentation d’un régime « illibéral ». En ce sens, notre démocratie n’a hélas pas attendu l’épidémie de Covid-19 pour être malade.
Le risque est de donner raison à cette défiance, dès lors que le rapport de l’Institut Montaigne met d’une certaine manière en cause l’État profond. L’expression vient de Turquie, des années 1990 (« Derin Delvet ») pour désigner les réseaux kémalistes qui refusaient l’évolution démocratique du pays et s’opposaient aux islamistes. Le concept a depuis lors été popularisé, et utilisé de façon anachronique, pour décrire par exemple les réseaux occultes dans l’Italie des années 1970, la fameuse « loge P2 ». C’est surtout aux États-Unis que la thèse a fait florès. Elle a été brandie par Steve Bannon pour attaquer la guerre larvée – supposée – entre le Président Trump démocratiquement élu et l’État administratif imposant son agenda au prix du choix des citoyens. Le Président lui-même ne s’en prive pas. En septembre 2018, il dénonçait ces « agents non élus de l’État profond qui poussent leur propre agenda secret et sont véritablement une menace pour la démocratie ». Le rôle des responsables politiques est de tout faire pour éviter l’importation de cette thèse. Et tout faire, c’est réformer en profondeur, pour obtenir des résultats.
Un extrait de la note parmi d’autres nous y invite : « L’État est apparu entravé par sa propre organisation, notamment du fait de l’absence de chaîne hiérarchique claire entre les préfets et les agences régionales de santé (ARS). Il est aussi apparu prisonnier d’une logique centrée sur le maintien de l’ordre public, souvent déconnecté des défis concrets que devaient relever, dans l’urgence, les acteurs locaux pour assurer la continuité des services essentiels et répondre aux inquiétudes de leurs administrés. » ou encore : « Sur le terrain, l’État apparaît comme empêché par lui-même : c’est-à-dire, par l’extrême centralisation de la réponse politique à la crise, en même temps que par la faiblesse et le cloisonnement de ses services sur le terrain, d’abord sur le front sanitaire. »
Je vous invite à le lire, sans œillères idéologiques, avec recul, car la critique est aisée, mais l’art difficile. L’ensemble est un peu trop à charge – mais débouche sur des préconisations intéressantes.
Sans trop généraliser, le contraste a parfois été frappant entre d’un côté une certaine lourdeur des procédures, la centralisation des décisions, le poids des normes et de l’autre la capacité d’organisation de la société civile, entreprises, collectivités locales, associations, citoyens.Quelles conclusions en tirer pour éviter la coupure brutale entre le terrain de la plaine et les cimes des montages ? Que c’est à partir du bas qu’il faut réorganiser la chaîne de commandement, que c’est en comptant sur les initiatives individuelles et collectives que s’inventent les services publics de demain, que c’est en embarquant les bonnes volontés que les hiérarchies pourront être aplaties et les modes de décision allégés.
4 verbes : déconcentrer, décentraliser, déléguer, expérimenter.
Cela ne suffira pas, sans refonte des pratiques démocratiques. Nous devons en même temps appuyer sur deux leviers, en évitant le carambolage : la relance de la démocratie et la révolution de l’administration, lesquelles, combinées de façon puissante, sont les seules à même de renverser la vapeur, et transformer le plomb en or, c’est-à-dire la défiance en confiance.
Après le constat, l’action !
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