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État profond, révolution administrative et relance démocratique – 2/2
Après les constats : mes propositions

(Consulter le premier article en cliquant ici)
Pour pallier à la fois le déficit démocratique et les impuissances d’un État à bout de souffle, il est indispensable d’être radical – c’est-à-dire original et transgressif, car le conservatisme apeuré n’est plus une option. La rupture entre les attentes du peuple souverain et les modes de gouvernement est trop béante pour se permettre encore d’attendre ou de faire dans la demi-mesure.
Faites pour agir sur la longue durée, les institutions et les administrations sont souvent prises au dépourvu en temps de crise. Je l’ai constaté à Paris : des conventions signées pour 12 ou 15 ans ne laissent aucune marge de manœuvre pour des décisions rapides, prises en commun, c’est ainsi que furent obtenues la mort d’Autolib’ et la funeste transition des Vélib’. Verticale (tout descend du haut), hiérarchique (les niveaux s’empilent), cloisonnée (les silos ne se parlent pas), redondante entre niveaux géographiques, l’administration sur le modèle militaire du 19ème siècle est moribonde. Elle a vécu.
Jugée archaïque, notre démocratie ne passionne plus les foules, en particulier les jeunes qui la jugent ringarde et préfèrent les mobilisations spontanées sur des thèmes sociétaux mondiaux (de l’environnement au racisme) aux isoloirs poussiéreux et les vidéos explicatives de trois minutes à la Loopsider ou Konbini aux tracts ou professions de foi.
Plusieurs idées sont sur la table :
Une convention démocratique, mêlant citoyens tirés au sort et experts, sur le modèle de celle qui a été mise en œuvre pour l’urgence écologique et dont les conclusions sont attendues en fin de semaine prochaine, pourrait élaborer des préconisations, des plus consensuelles au plus controversées.
En attendant, il n’est pas interdit de réfléchir et de soumettre à la sagacité des Français, des pistes comme les suivantes :
La question de la part de proportionnelle doit être reposée avant 2022, conformément à ce qui était déjà prévu dans le programme présidentiel. Sans perdre de vue la nécessaire stabilité gouvernementale, il est temps de corriger le mode de scrutin et de permettre aux forces politiques d’être mieux représentées au Parlement. Cette plus grande reconnaissance des groupes d’opposition n’est évidemment pas un blanc-seing pour l’obstruction. Une prime majoritaire de celle qui fonctionne bien pour les élections municipales – peut-être pas à la même hauteur – serait envisageable pour garantir la capacité d’action à l’Exécutif, mais avec des majorités pluralistes, voire de coalition.
L’abaissement de la majorité électorale doit également être envisagé. L’urgence écologique doit se doubler d’une urgence démocratique – ce qui suppose aussi la mobilisation de la jeunesse. Abaisser l’âge de majorité électorale à 16 ou 17 ans – comme cela est déjà appliqué par certains pays européens – doit se poser. Au même titre que l’abaissement de 21 à 18 ans en 1974 faisait suite aux aspirations d’émancipation de la jeunesse post-1968, il s’agit de mobiliser les jeunes dans les décisions publiques. La politique de boomers pour les boomers et par des boomers est une impasse, comme le soulignent des personnalités aussi différentes qu’André Comte-Sponville ou François de Closets, parfois de façon provocatrice.
Le chantier du vote électronique et/ou du vote par correspondance – qui ne se règle hélas pas en un mois dans notre France aux longues procédures – est aussi devant nous. Cela répond à l’impératif sanitaire post-Covid mais également un pari démocratique sur une plus grande participation électorale. L’Estonie le fait, bon sang ! Quand est-ce que l’État me consultera sur des sujets qui me tiennent à cœur via mon smartphone ? Et des votes sécurisés à distance existent, des start-up françaises ont inventé des systèmes qui n’attendent qu’une mise en pratique : pourquoi ne pas au moins faire un test en temps réel pendant une élection (pour voir les scores obtenus en parallèle entre votes physiques et votes à distance) ?
C’est un serpent de mer mais il faut sans cesse remettre le sujet sur le métier. Les citoyens sont également des usagers des services publics et c’est pourquoi la transformation administrative est très politique. La gestion de la crise du Covid-19 implique de revoir l’organisation territoriale de certaines politiques publiques. Il est temps de mener la déconcentration et la décentralisation jusqu’au bout. Confions d’importantes responsabilités aux régions, aux départements et aux intercommunalités, par blocs, plutôt que des bouts découpés entre niveaux territoriaux et avec l’État, formant ainsi un puzzle que plus personne ne parvient à rassembler. Sur le modèle des collèges aux départements et des lycées aux régions, la construction, l’entretien et la rénovation des bâtiments publics devraient être confiés aux collectivités locales (commissariats, prisons, tribunaux, …) ainsi que tout ce qui relève des équipements. Faisons de nos collectivités les investisseurs de proximité et du quotidien – l’État se concentrant sur l’investissement d’avenir, de souveraineté industrielle et de compétitivité. Et ensuite, inventons un modèle de conférence nationale pour écouter tous les acteurs, par exemple lors qu’une crise sanitaire, une catastrophe écologique, un choc financier surviennent.
Notre pays n’exploite pas toujours au maximum le numérique pour définir, adapter, simplifier les démarches pour les Français. La nature ayant horreur du vide, le retard de la réforme de l’État est comblé par les géants du numérique qui ont colonisé notre imaginaire social. L’exemple réussi du prélèvement à la source montre que c’est possible. Il reste à accomplir cette simplification dans le maquis de nos aides sociales (sans les raboter en cette période terrible de récession !). C’est la seule façon de remettre des agents publics sur le terrain, dans nos campagnes, derrière des guichets, accompagnant les porteurs de projet comme les personnes en difficultés, plutôt que cachés dans les bureaux ou à cracher de la circulaire illisible. Intelligence artificielle, algorithmes, procédures numérisées redonneraient de la présence humaine là où elle est utile et de l’efficacité dans la proximité.
Enfin, la transparence des rémunérations publiques est indispensable. Aujourd’hui, il faut avoir un double diplôme en droit public et de l’école des chartes pour être en capacité de les reconstituer (multiplier le nombre de points, aller chercher les primes dérogatoires…) : il faut fouiller dans un nombre incalculable de décrets et d’arrêtés. Décidons une fois pour toute qu’aucun fonctionnaire ne puisse être payé plus que le Président de la République et construisons à partir de là une grille simple, lisible, publiée.
L’époque n’est plus à « courage fuyons » mais au contraire invite les responsables publics à plus d’humilité et à se recentrer sur leur cœur de mission : réinventer « les choses de la vie » publique.