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Faire avec l’Allemagne

Pascal Lamy déclarait début avril que si l’Allemagne continuait à s’opposer à une capacité européenne d’endettement, il faudrait alors « faire sans l’Allemagne ». La chancelière soutient aujourd’hui cette capacité commune. Il reste que la proposition franco-allemande, inscrivant dans le cadre financier pluriannuel (CFP) de l’UE un fonds de relance de 500 milliards d’euros financé par des emprunts sur les marchés de capitaux – proposition que je salue – nécessite l’unanimité au sein de l’UE. Or, cette proposition se heurte aux réticences de quatre partenaires (Autriche, Danemark, Pays-Bas et Suède). Ceux-ci s’opposent à ce que l’UE finance la relance de l’activité économique à la suite de l’épidémie à travers des transferts mais privilégient des prêts et une réorientation des priorités du CFP. Leur inquiétude est la capacité des pays du Sud à mettre en œuvre des réformes structurelles pour assainir leur politique budgétaire, jugée trop laxiste, si de fortes conditionnalités n’accompagnent pas l’aide européenne.
Dans le contexte de graves turbulences financières qui s’annonce, ce blocage d’une minorité, conduite par La Haye, de surcroît présumée en délicatesse avec les objectifs européens de transparence et de coopération fiscales, ferait subir, s’il persistait, de sérieux risques à l’intégrité du marché intérieur, à la monnaie unique et à la cohésion économique et sociale de l’UE. Or, la prospérité des Pays Bas et de l’Autriche est clairement assise sur le marché intérieur et ces États ne peuvent prendre le risque de provoquer sa dislocation. La Suède est quant à elle sévèrement affectée par l’épidémie. La Commission travaille à proposer une solution de compromis articulant prêts et subventions en vue de la négociation du prochain Conseil. La négociation s’annonce longue et complexe et il n’est même pas certain qu’elle aboutisse, notamment en raison des jeux de politique intérieure à Vienne et à La Haye. Si l’unanimité s’avérait hors de portée au Conseil, une solution alternative dans le cadre des traités européens voire – si nécessaire- hors traités devrait pouvoir être envisagée.
Dans le cadre des traités, la piste des « coopérations renforcées » mérite d’être explorée.
Ce mécanisme, introduit par le traité d’Amsterdam, prévoit la possibilité pour au moins 9 Etats membres d’approfondir l’intégration européenne. Les coopérations renforcées « ne peuvent porter atteinte ni au marché intérieur ni à la cohésion économique, sociale et territoriale » de l’UE. Elles ne peuvent constituer ni une entrave ni une discrimination aux échanges entre les Etats membres ni provoquer de distorsions de concurrence entre ceux-ci. Pour être lancée, il doit avoir été démontré que les objectifs recherchés par cette coopération « ne peuvent être atteints dans un délai raisonnable par l’Union dans son ensemble ». L’autorisation de procéder est accordée à la majorité qualifiée par le Conseil sur proposition de la Commission.
La proposition franco-allemande d’un fonds de relance recueillera au moins le soutien de l’Italie, de l’Espagne, de la Belgique, du Luxembourg et de l’Irlande. La majorité qualifiée pour autoriser une coopération renforcée semble atteignable. La condition relative à la concurrence est plus complexe mais cette limite vaudrait pour tout plan de relance ciblé, y compris à 27. Par ailleurs peut-on raisonnablement soutenir que des transferts visant à protéger des économies vulnérables contre des attaques visant leurs dettes souveraines et par là même la zone euro dans son ensemble, « porteraient atteinte à la cohésion économique, sociale et territoriale » de l’UE ? Il n’y a pas de cohésion sans solidarité. Le commissaire Thierry Breton remarquait hier que, depuis la création de l’Euro, les pays du Nord avaient dépensé mille milliards pour la défense et la protection de l’Europe, ceux du Sud, le double.
Dans sa décision du 5 mai que je commentais récemment, la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe critiquait aussi l’usage insuffisamment démocratique par la BCE du levier monétaire. Elle incitait implicitement à le compléter par un levier budgétaire. Pas de monnaie unique sans une forme de fédéralisme budgétaire incluant un contrôle politique et démocratique… En acceptant la mutualisation des dettes, Angela Merkel a fait du judo et prenait au mot sa plus haute juridiction. Finalement, il est en effet souvent essentiel de prêter l’oreille aux juristes allemands, même souverainistes : par une ruse de l’histoire, ils ont peut-être fait avancer comme rarement la construction européenne !