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La dentellière dans les étoiles

RéponseDLMVous retrouverez ci-dessous ma tribune publiée ce jour sur rue 89.

Votre article, publié sur le site de rue89, qui prétend donner une vision globale de la culture à Paris, n’évoque en réalité qu’une partie de l’activité culturelle parisienne et une partie de la politique culturelle.

Ce sujet méritait une approche sans démagogie facile ni simplification abusive. Mais de la finesse et de la subtilité. La Ville de Paris n’est pas une collectivité unidimensionnelle, c’est un mille-feuilles, qui a certes parfois l’air complexe, mais auquel je prête une vraie cohérence.

« La politique culturelle vue par le petit bout de la lorgnette ».

En matière de dépense publique, il est tout un travail, subtil, resserré, ciblé et de long terme, qui malheureusement pour ceux qui le portent, mais heureusement pour ceux qui en bénéficient, ne se prête ni à la polémique, ni à la médiatisation.

Je vous invite monsieur, à tenter une vague sur laquelle il est difficile de surfer. Allez vous encanailler à la rencontrer les bibliothécaires parisiens, par exemple ceux de la rue des haies dans le 20e, qui transforment la médiathèque Louise Michel en véritable lieu de vie, où le rapport de la sacro sainte « collection » et de « l’usager » à été radicalement renversé pour mettre ce dernier au cœur de la bibliothèque. Laissez-vous gangréner, par les équipes du « théâtre c’est la classe », qui passent des centaines d’heures avec les CM2 du 20e pour leur transmettre l’essence d’une création théâtrale de qualité. Débauchez avec nous les musiciens virtuoses de l’orchestre de chambre de Paris, et sentez leur plaisir à transmettre et à nourrir leur passion grâce à l’échange avec des publics si différents d’eux : maisons de retraite, ESAT, centres sociaux…  Mélangez-vous au public familial qui assure le succès des expositions gratuites au pavillon carré Baudouin, comme celle sur Marcel Storr actuellement, réalisée grâce à la Ville de Paris. Découvrez l’enthousiasme des non professionnels qui bénéficient des créneaux horaires dans la nouvelle Maison des Pratiques Amateurs de Saint-Blaise, qui fait vivre tous les talents. Venez aussi libérer le vôtre avec nos grapheurs sur les murs d’expression libre.

Les tout-petits qui manipulent leur premier livre grâce au partenariat entre crèches et bibliothèques, les spectateurs qui s’émerveillent devant la poésie des interventions urbaines pendant le festival gratuit « et 20 l’été » consacré au thème de  l’espace public, le public qui se cultive dans les conférences des mairies d’arrondissement appartiennent bien sûr tous à l’affreuse catégorie des bobos – étrange alors que ce sont dans les quartiers les plus populaires que ces politiques rencontrent les plus vives attentes.

Tout cela n’est  ni sexy, ni transgressif, c’est un travail de dentellière, coûteux en temps et en argent public, c’est un pari sur le long terme, dont on ne peut faire aucune publicité clinquante, puisque ses effets, ceux de la rencontre avec l’œuvre, de son expérience intérieure par la pratique,  sont par essence trop intimes pour être mesurés ou utilisés à des fins de propagande politique.

Alors, si la ville de Paris assure une partie du travail nécessaire de rayonnement, grâce à de grands équipements à notoriété internationale, elle n’en a pas pour autant oublié le travail de l’ombre, au cœur d’une politique culturelle de gauche. Elle en assure une partie, dans ses bibliothèques, ses musées, ses ateliers d’artistes, avec des programmes tels que l’art pour grandir ; elle en délègue aussi une partie dans les arrondissements. Laissez-vous éblouir si la grandeur vous fait de l’effet,  mais n’oubliez pas de regarder le travail de fourmi qui est partout à côté.

Les illusions dangereuses

Concernant la place des artistes dans la ville, des squats, des régularisations par convention, des ateliers partagés, vous touchez ici la corde sensible car mon engagement, sur ce sujet plus que tout autre, est sans ambivalence. La Mairie du 20e a porté un vœu, soutenu par le Conseil de Paris unanimement, que je vous invite à consulter. Comme toujours, lorsqu’il s’agit de renversement des codes de pensée, le chemin est long et demande persévérance, opiniâtreté et la plus grande clarté dans l’objectif.

Nous sommes fiers d’avoir réussi, en partenariat avec une société d’économie mixte, une première expérience de mise à disposition d’un bâtiment vide en attente de travaux (74, rue des maraîchers) pour permettre à de jeunes créateurs de travailler, libérés des contraintes économiques liée au marché de l’immobilier. Nous nous refusons à juger de la qualité intrinsèque des œuvres effectivement produites pour des raisons évidentes de liberté de création. Par contre, prenant sous notre responsabilité l’accueil de ces artistes, nous demandons des engagements en matière de sécurité, d’ouverture, de respect des personnes et de réalité de la création.

Si cet objectif est mon principal cheval de bataille, ma position d’élu me donne quelques moyens pour y parvenir, mais également le devoir de ne pas céder à des illusions dangereuses.

Avec le Carrosse, vous prenez un bien mauvais exemple. Ce bâtiment a été préempté par la ville de Paris en 2005 dans le but d’y réaliser un équipement social de proximité. Dans l’attente du démarrage des travaux, et afin d’assurer la sécurité de tous -occupants et riverains- la ville de Paris a proposé aux artistes le protocole suivant en trois phases:

–       Relogement progressif des occupants en difficulté sociale (familles avec enfants en bas âges, adultes isolés…)

–       Mise en sécurité du bâtiment une fois libéré par les occupants.

–       Réintégration par les artistes regroupés en association, en convention précaire d’occupation en attente de la réalisation de l’équipement social de proximité.

Pour cela, les occupants devaient s’engager à :

–       Cesser l’organisation des événements publics tant que le bâtiment est dangereux,

–       Ne pas tirer un bénéfice financier de la location des espaces mis à dispositions gratuitement par la ville,

–       Laisser le libre accès aux techniciens de la ville venus préparer les travaux de mise en sécurité,

–       Cesser l’accueil de nouvelles familles dans les espaces libérés par les relogements,

–       Constituer une association pour permettre de contractualiser l’occupation précaire des lieux après les travaux de mise en sécurité.

Conformément à ses engagements, la ville de Paris a procédé depuis 2010 au relogement des familles initialement présentes et prépare les travaux de mise en sécurité.

Du côté des occupants du Carrosse, aucun des cinq engagements n’ayant été respecté, le lieu est source de nuisances et de danger tant pour les occupants que pour les riverains.

Néanmoins, si la ville de Paris est en capacité de réaliser la mise en sécurité des lieux, elle maintient sa proposition d’accueillir temporairement à l’issue de ces travaux, un autre collectif d’artistes constitué en association, respectueux des personnes, du protocole d’occupation et des dispositions de sécurité fondamentales.

Des opérations du même type ont déjà été réalisées avec succès avec d’autres collectifs d’artistes, et traduisent la volonté politique de la ville, en optimisant l’utilisation des espaces dont elle est propriétaire, sans remettre en cause la réalisation des équipements indispensables à la vie des parisiens.

Et, contrairement à ce que vous dîtes, les exemples de lieux innovants abondent, du 59Rivoli jusqu’au théâtre de verre en passant pars les frigos, la gare expérimentale, la petite roquette, et bien d’autres. Le 100 rue de Charenton dans le 12e permet une mutualisation de lieu pour des centaines d’artistes et nous portons un projet similaire dans le 20e.

Je suis convaincu de la réalité de votre engagement pour la vitalité artistique, néanmoins, pour lui donner toute son ampleur, prenez garde à ne pas vous tromper d’ennemi, et à ne pas prendre un miroir aux alouettes pour la révolution culturelle. Faute de quoi, les aigles d’Altaïr ne tiendraient pas leurs promesses.

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