Phynances

La régulation, la rente, la réforme

Le débat sur la loi portée par Emmanuel Macron s’est récemment concentré sur la procédure (le 49.3) plutôt que le dur (le contenu). Tronçonné en divers morceaux de cake, le projet n’est pas facile à suivre. La loi ressemble un peu à un pudding britannique de Noël, dans lequel on a uraitjeté plein d’ingrédients plus ou moins appétissants, et qu’on découpe ensuite en tranches ou lamelles fines pour ne pas trop en manger. Il y a la part pour les auto-écoles, la part pour le travail du dimanche, la part pour les notaires… Roboratif, bourratif, peut-être, mais indispensable : impossible de s’en passer.

Cette réforme, comme d’autres, s’attaque à des rentes de situation. Certains les jugent légitimes, justifiées (missions de service public, difficultés de la tache, etc.), historiquement acquises (la Révolution, Bonaparte !), intrinsèques à notre génie propre (le développement industriel des XIX et XXe siècles). Rares sont ceux qui l’expriment sous forme plus directe du bénéfice qu’ils en tirent, voulant conserver un magot profitable : « Touche pas au grisbi, salope ! » semble-t-il lancer à ceux qui souhaitent renverser ses situations solidement ancrées, comme des moules sur des rochers. Tous les rois Midas ne se lassent pas de leur or et ne vont pas tremper leurs doigts dorés dans les eaux purificatrices du fleuve Pactole. Je ne suis pas un spécialiste des différents sujets qui courent sur les milliers de pages de cette loi, mais je ne change pas de position : parfois, il faut savoir prendre des risques, et tirer sur la nappe à la fin du repas, à défaut de renverser la table.

L’une des raisons de mon adhésion au PS et de mon atavisme social-démocrate, c’est la lutte contre la rente (avec les inégalités à la racine, les inégalités dynamiques, j’y reviendrai dans un autre article). C’est aussi une dimension « libérale » et humaniste du socialisme, en cela qu’elle est liée à la liberté, que j’assume : la concurrence est l’ennemie de l’accumulation et de la stratification des rentes, en cela, régulée, elle est utile. Il règne une grande confusion conceptuelle entre l’économie de marché et le capitalisme : le capitalisme s’accommode très bien de monopoles privés, statiques, prédateurs, accompagnés d’un autoritarisme politique corrompu de bon aloi (Cf. La Chine et la Russie actuelles, illustrations pures et presque parfaites de ce cynisme), bref le capitalisme aime la rente, là où l’économie de marché régulée repose sur l’innovation, la concurrence, l’émulation, et a besoin d’un environnement ouvert, où la liberté de créer et d’entreprendre est reconnue. C’est cette distinction que nous avions échoué à mettre en avant lors du référendum sur la Constitution européenne de 2005. C’est l’une des raisons profonde de mon engagement, que je ne renie pas : il faut parfois secouer le cocotier pour voir ce que cela donnera, quitte à se prendre quelques grosses noix dures et sonores sur la tête ou les pieds. Faire mouvement pour faire mouvement. Une chose est sûre : le statu quo est impossible. « Va vite, léger peigneur de comètes ! » dirait le poète Tristan Corbière.

Si un pays doit prendre à bras le corps les réformes, c’est bien la Grèce. Si Syriza signifie alignement sur les positions russes, soutien d’un parti d’extrême droite, immobilisme pour ne fâcher personne, démagogie antiallemande et anti-européenne, alors je ne suis pas Syriza. Si Syriza veut dire remise en cause de la sainte trinité Eglise orthodoxe – militaires – armateurs, lutte efficace contre l’évasion fiscale, établissement d’un impôt égalitaire, en commençant par un cadastre digne de ce nom, discours tonique, exigeant mais réaliste avec les partenaires européens, alors je deviendrai Syriza. L’accord trouvé ce week-end va dans le bon sens, c’est-à-dire l’équilibre entre respect des règles et respect du vote populaire. Si la Grèce consacre autant d’argent public à la défense, parce qu’elle a peur de la Turquie, parlons-en. Oui, la Turquie d’Erdogan n’est pas avenante, mais alors que l’Europe prenne en charge la sécurité des frontières grecques ou la finance davantage. Surtout, Syriza doit faire payer les riches, les entreprises grecques, grandes ou petites, fuyant massivement la contribution publique : il va falloir oser être de gauche dans les faits et pas seulement dans les discours. Sinon, l’expérience tournera court. Il y a pourtant matière à un échange : allègement des contraintes macro-économiques (échéancier de la dette, niveau de déficit, etc.) qui pèsent sur la Grèce contre un calendrier de réformes structurelles précis qui tourne largement autour de la question de l’administration fiscale (lutte contre la corruption, modernisation du système de prélèvements obligatoires, etc.). C’est ce qui est désormais prévu.

Les réformes doivent donc décoincer les rentes en y substituant immédiatement une forme nouvelle de régulation. C’est un art subtil et difficile. Il faut graisser les rouages. C’est ce qui s’est passé pour les notaires en France : le monopole profitable actuel est devenu insupportable, mais le mécanisme prévu n’était pas satisfaisant (le corridor tarifaire), ce qui a nécessité des adaptations. Il y en aura d’autres. Rien de plus compliqué que de remplacer des systèmes existants, bien rôdés, bénéficiant à des catégories professionnelles bien déterminées, par de nouveaux systèmes, qui, par définition, font peur à ceux qui sont en place aujourd’hui et dont on ignore comment ils fonctionneront demain. « On sait ce qu’on perd, mais on ne sait pas ce qu’on trouve », c’est le mot d’ordre qui s’oppose à tout changement. Le dépasser nécessite explication et détermination.

Voilà pourquoi le succès repose plus que jamais sur un nouveau pacte social à construire. Il passe par plusieurs étapes, toutes contestables, toutes sujettes à débat et à caution, mais autant assumer ces controverses : premièrement, le diagnostic et le constat (quels ont été les impacts des bouleversements intervenus depuis le début des années 1990, la mondialisation et la construction européenne ?), deuxièmement, le choix assumé de la réforme (en posant clairement pourquoi les choses ne peuvent rester en l’état), troisièmement, le respect des principes, des valeurs, des objectifs qui nous animent à gauche (la solidarité, l’égal accès de tous, la correction des inégalités, la régulation de la concurrence, etc.) et quatrièmement le contenu et les méthodes des actions à mettre en œuvre, en compensant les conséquences négatives de la réforme. Cela vaut pour de nombreux sujets ou secteurs. La situation impose de bouger ; il faut bouger sans renoncer au progressisme ni à l’humanisme ; bouger aura des conséquences qu’il faut évaluer et maîtriser.

J’y ajoute des marottes : l’Europe et la décentralisation. Il faut s’appuyer sur l’Europe et non y voir un lointain tyran absurde. L’Europe rejoue « Le roi se meurt » de Ionesco : les murs se fendillent, et tout le monde attend que le toit nous tombe sur la tête. Le plan Juncker ne doit pas rester dans un tiroir comme les précédents, mais au contraire venir irriguer et fertiliser les mornes plaines économiques. Puisque l’Europe demande des réformes structurelles, que ses moyens soient des leviers pour les faciliter et les faire accepter en finançant de nombreux projets dont certains n’aboutiront pas et d’autres feront peut-être merveille. Le magicien Draghi ne doit pas être le seul à tenir les cordons de la bourse (la desserrant tellement qu’il pleut des liquidités monétaires plus qu’il ne tombe de flocons de neige cet hiver).

La décentralisation aussi : les hauts fonctionnaires qui gravitent à l’Elysée, Matignon et Bercy n’ont que l’Etat à la bouche. L’Etat, l’Etat, l’Etat ! Ils nous remettent du préfet dans toutes les réformes. Même pour la téléphonie mobile, merci pour la confiance ! A mon humble avis, un préfet par grande région suffirait, rassemblant autour de lui les services de l’Etat, très réduits, stratégiques, avec des délégués à la sécurité dans les départements, en fait les directeurs départementaux de la sécurité publique qui existent déjà. Les principales missions des administrations déconcentrées seraient confiées aux collectivités locales. Le travail du dimanche relève de la démocratie de proximité : laissons les électeurs choisir librement entre des candidats qui proposeraient, dans une fourchette large, le nombre de dimanche travaillés et la méthode pour y parvenir (tables rondes élus / professionnels / syndicats de salariés / associations / habitants). Ce n’est pas à un représentant de l’Etat de prendre une décision qui joue autant dans la vie et l’organisation de la cité. Je partage les objectifs de la loi Macron, qui donnent une respiration nécessaire, un assouplissement bienvenu, mais je ne suis pas favorable à ce que j’estime être un recul de la démocratie de proximité. Anne Hidalgo a eu raison de le rappeler. Les collectivités locales ne sont plus des enfants mineurs qu’il conviendrait d’émanciper, comme les Lumières philosophiques du XVIIIe siècle, qui menaient les peuples à leur majorité (pour reprendre la belle expression de Kant) : ce sont des adultes responsables de leurs choix validés ou rejetés par une démocratie de proximité efficace et accessible pour les habitants, qui perçoivent souvent plus facilement les enjeux de leur ville que ceux de la Nation.

La réforme est bonne, si elle offre toujours des mécanismes de régulation nouveaux, si elle s’appuie sur les leviers européens, si elle renforce la décentralisation, si elle supprime des doublons et enchevêtrements inutiles, si elle encourage l’innovation, l’égal accès aux emplois et aux professions, si elle réduit les inégalités réelles. Si elle récuse les idéologies anciennes, mais offre des idées nouvelles !

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