Tout le reste

La République dans l’ordre

Liberté – égalité – fraternité, les trois termes de la devise de notre République sont classés dans un ordre précis. Il y a un sens, c’est-à-dire une signification et une direction dans l’alignement de ces trois mots. Cela a été une controverse, bien décrite par Mona Ozouf, tout au long du XIXe siècle, dont les penseurs républicains se sont saisis, à l’image de Charles Renouvier, qui a laissé son nom à un très joli pont de la petite ceinture, comme suspendu, dans notre cher 20e arrondissement. Pour ma part, j’assume l’ordre dans lequel la devise est établie.

La liberté est la priorité de la République. La liberté de croyance est celle qui occupe nos esprits depuis les attaques de janvier à Paris et de février à Copenhague, mais n’oublions pas toutes les autres, et aussi, oui, celle de créer, créer des œuvres de l’esprit, mais créer des manufactures aussi bien. La gauche ne doit pas avoir de problème avec la liberté, elle est consubstantielle à son ADN : l’objectif du socialisme reste, avant tout, l’émancipation individuelle pour tous. Pouvoir s’émanciper de son milieu, de sa famille, de son éducation religieuse, de ses origines (pour retourner à tout cela, aussi bien, si on le veut) : voilà ce que nous devons rechercher.

Même si cela sonne archaïque et ridicule, j’ose rappeler qu’en République, il ne saurait y avoir de liberté pour les ennemis de la liberté. Tolérer les semis de l’intolérance, c’est prendre le risque d’en cueillir des fruits bien amers. Pas la peine d’inviter tous les faux-nez des frères musulmans à pérorer ici ou là. Vivre en France, c’est accepter le régime de la plus grande liberté possible. Pour la sauvegarder, il faut à la fois l’étendre et la défendre. Cela revient à perfectionner la régulation, qui est le grand mécano des sociaux-démocrates. Concilier autorité et liberté sera la grande affaire des démocraties au XXIème siècle, dans un monde entre mouvements et chaos. Cela devra obliger l’Etat à se recentrer sur ses deux grandes missions de sécurité intérieure et extérieure, en décentralisant profondément tout ce qui relève de la gestion quotidienne. Accorder de nouveaux droits aura un indispensable corolaire du renforcement des devoirs, à commencer par le respect strict de la laïcité. Elle-aussi est un mouvement, comme la liberté, un élan, un envol : il a fallu se battre presque 120 ans entre l’état civil retiré aux paroisses par le décret du 20 septembre 1792 (première étape de la laïcité en acte puisque naître, mourir, se marier, relevaient désormais de la sphère civile) et la séparation définitive de l’Eglise et de l’Etat en 1905. Il a fallu faire reculer la religion en dehors de l’espace public : ce fut un combat. Ne le serait-ce plus ? Alors c’est une flamme qu’il nous appartient de raviver et d’entretenir.

L’égalité vient en deux, et, même si cela peut choquer, ce n’est pas au hasard, c’est aussi parce qu’elle vient logiquement en deuxième position. Sans liberté de commerce et d’industrie, pas de création de richesse. Sans création de richesse, pas de redistribution possible. Sans redistribution, pas d’égalité par les charges et la dépense publiques. La liberté est une condition nécessaire de l’égalité, mais non suffisante, contrairement à ce que pensent les libéraux. Il n’y a pas à choisir entre la liberté et l’égalité, ces valeurs ne s’opposent pas, mais se complètent, et l’une a besoin de l’autre, car, sans égalité, pas de consentement aux conséquences de la liberté. Une cohésion sociale en déréliction finit par délégitimer la liberté, et la rendre même insupportable. L’arrogance des trop riches est aussi une menace, à commencer par golden hello et parachutes, on peut se dire bonjour et au revoir plus simplement.

L’égalité revêt bien sûr deux sens précis, aujourd’hui bien établis : celui de l’article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789, à savoir l’égalité de tous devant la loi, ce qu’on pourrait appeler l’égalité en creux, ou négative (absence de discriminations) et celui de l’article 13 de cette même déclaration, l’égalité de traitement (contribution publique en fonction des capacités). L’égalité exige donc une tension contradictoire : ne pas traiter de façon différente les personnes qui se trouvent placées devant une situation identique (tout le monde doit avoir droit à un procès équitable…) et traiter de façon différente les personnes placées dans des situations objectivement différentes (fiscalement en particulier).

Sur ce point, l’injustice du système fiscal français, les écarts entre les territoires, l’insuffisante prise en compte des difficultés dans les zones reléguées sont connus : en matière d’égalité, le Premier Ministre l’a dit, la République est en échec. Seules des réformes vigoureuses de la protection sociale, du système d’éducation et de formation, de la fiscalité locale et nationale peuvent y pourvoir. Hélas, nous avons besoin de temps et de méthode, et la procrastination successive depuis les années 1990, nous prive justement du temps de la délibération. C’est une contradiction qu’il nous faut lever, en graduant en fonction des sujets. Certains peuvent moins attendre que d’autres.

La fraternité arrive en dernier, et il n’est pas aisé de dire à quels principes cela peut bien correspondre. Autant il est possible d’accroître et d’encadrer la liberté et l’égalité par les lois et les décrets (fiscalité, droits civils et sociaux, droit de la concurrence, etc.), autant il est impossible de susciter ou juste favoriser la fraternité par des textes. Elle se prête peu aux abstractions. La manifestation du 11 janvier, en a été, quoiqu’on den ise, une démonstration éclatante. Se laisser porter par des émotions républicaines, n’est pas une honte. Peut-être faut-il parfois laisser éclater le vernis policé de la dignité, pour se laisser aller, au rire, ou bien aux larmes si chères à notre Jean-Jacques national, dans « Les confessions ». Dansons de nouveau la carmagnole dans de grands bals populaires, pleurons de conserve, rechantons la Marseillaise de bon cœur, apprenons par cœur un poème de Victor Hugo, le barde national, à l’école, la République a elle-aussi besoin de signes extérieurs d’estime. Il faut l’aimer un peu. On pourrait commencer à innover, en réservant l’exclusivité de la légion d’honneur aux actes de bravoure civils ou militaires (elle a aujourd’hui perdu tout sens) et en fusionnant tous les autres ordres (palmes académiques, agricoles etc.) dans l’ordre du mérite national unique, avec cérémonie de remise de médaille publique. Par ailleurs, certains jugeront cela ridicule et j’entends déjà les sarcasmes glisser dans les sarbacanes, mais désigner des trésors républicains vivants, comme il existe des trésors nationaux vivants au Japon, avec possibilité pour les personnalités retenues de refuser ou d’accepter, pourrait au moins être une piste à explorer.

C’est que la République a besoin d’amis, puisqu’elle a des ennemis. Certains n’acceptent pas ses principes. Il y a des responsabilités collectives, mais aussi des responsabilités individuelles qui consistent à rejeter systématiquement les mains tendues, à dénigrer la France et ses autorités, à refuser de travailler à s’inscrire dans une communauté de destin. Les discriminations réelles à l’emploi, au logement, à l’accès au crédit, aux loisirs ne justifient pas, au mieux, les attitudes désinvoltes et, pour le pire, le choix du mal. Pas de complaisance pour la complaisance ! Déjouons ce simplisme des attitudes faciles consistant à se laisser enfermer dans la victimisation.

Il y a une guerre, non pas entre civilisations, entre religions, entre races, mais entre deux systèmes de valeurs, d’un côté des régimes de liberté où la place égale des femmes est garantie, les minorités protégées, la liberté de la presse, d’expression et de création valorisée et des régimes autoritaristes (et leurs thuriféraires), qui répriment les femmes, les minorités visibles et LGBT, et promeuvent un ordre naturel et immuable des choses, adossé le plus souvent à des croyances religieuses. Refuser de le voir au nom des bons sentiments, c’est faire preuve de ce même angélisme dévastateur qui nous a conduits à baisser la garde devant les reculs de la laïcité. Paranoïa, fantasme, crainte infondée, « le piétinement sourd des légions en marche » de Heredia n’est-il que dans nos têtes ? Je ne le pense pas. Avant ce funeste janvier, j’avais déjà fait part de ma peur devant cette sadisation du monde.

La liberté d’abord (de croire, de penser, de s’exprimer, de créer, d’entreprendre, d’aller et venir, de se marier pour tous…) ; l’égalité ensuite (égalité des droits, égalité de traitement, égalité par les la redistribution fiscale et sociale) ; la fraternité enfin, qui résulte de la combinaison des deux premiers principes.

C’est donc faire vivre ce dernier élément de la combinaison qui se révèle le plus compliqué, et le plus décevant, car il s’agit d’un sentiment, d’un affect, plus que d’un principe. C’est une alchimie produite par la liberté de s’épanouir, exercée dans un vivre-ensemble assurant les mêmes chances à chacun. C’est que devrait en ressortir la joie et la fierté d’appartenir à la communauté nationale. Les discriminations, l’accroissement des inégalités, les entraves injustifiées aux libertés viennent perturber et finissent par miner la fraternité. Que faisons-nous ensemble ? Qu’est-ce que cela m’apporte et apporte aux autres d’habiter ce territoire avec un passé et un avenir communs ? Et que puis-je moi lui apporter ? L’école est au centre de ces questions et éduquer l’esprit critique, ce miracle des Lumières, qui est toujours au cœur de ses missions.

La fraternité, cette belle idée de bonheur qui devrait nous rapprocher les uns des autres, ne pourra exister pleinement qu’à condition que les libertés soient étendues, et qu’en même temps la protection de ces libertés indispensable à la survie de notre Etat de droit soit renforcée, ce qu’il nous faut accepter en temps de guerre, mais aussi qu’à condition que l’égalité soit sans cesse poursuivie, par la réforme de l’Etat-Providence. Etat de droit, Etat-Providence, nos biens communs à faire prospérer, et, malheureusement, à protéger pour les sauver, ce que ne pensions plus avoir à faire. Les réformer, ce n’est pas les affaiblir, c’est les grandir.

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One Comment

  1. Ce genre d’idéal ou de devise sert surtout à endormir le peuple, à le faire rêver, à prétendre le contraire de ce qu’on fait.
    Il y a beaucoup de chômeurs mais la lutte contre le chômage est la priorité. Rêvons
    Il y a de plus en plus de conflits et de violence mais le vivre-ensemble est notre valeur. Rêvons.
    Les inégalités de toutes sortes s’accroissent mais l’égalité est notre valeur républicaine etc Rêvons.
    Plus le rêve est grand, plus il est beau. Demain est l’opium du peuple.
    Le rêve suscite, alimente le sentiment et le sentiment abêtit les hommes.
    En ce qui me concerne, je rejette l’égalité et la fraternité. L’égalité débouche sur l’égalitarisme à la NVB.
    Les hommes ne sont pas égaux (sauf dans l’abstrait, en théorie, juste en pensée, mais pas en fait) C’est la discrimination sur des bases injustifiées qui est inacceptable.( Mais là, silence, ça discrimine de façon injustifiable à tour de bras et institutionnellement) D’ailleurs les inégalités de toutes sortes s’accroissent.
    Les hommes ne sont pas frères. Qui est le père ? (c’est un reliquat religieux qui a donné naissance à l’universalisme, à l’humanisme, aux droits de l’homme) ) Ils sont très différents les uns des autres. Et parfois, ils se ressemblent. Et quand ils se trouvent des points communs, ils s’assemblent. Mais enfin, regardez au lieu de rêver : la société n’est faite que de clans, de partis, de communautés, de clubs, de castes, etc etc.
    Tout cela, c’est un conte pour enfants.

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