Tout le reste
Le chant des sirènes et l’écume des choses
La question posée par le remaniement est moins une question de personnes que d’orientation. Un choix stratégique, non la sélection d’un casting. Un exécutif adopte une ligne politique, et une seule. L’esprit de responsabilité exige qu’on s’y tienne. Dès lors, le seul défi à relever est celui du redressement économique et des moyens nécessaires à ce redressement. Tout le reste, c’est l’écume des choses. Une vision réformiste assumée pourrait s’appuyer sur le triptyque suivant : continuer à assainir la politique budgétaire française, assouplir la politique monétaire européenne, aménager le système social de l’Etat-Providence et le fonctionnement de l’économie.
N’en déplaise aux thuriféraires de la relance keynésienne à tout crin, l’utilisation de la politique budgétaire en France a atteint ses limites. Avec 57% de dépenses publiques rapportées au PIB, qui peut croire que passer à 58, 59 ou 60% ferait repartir la croissance ? Avec un déficit à plus de 4%, ce n’est hélas pas un déficit de 5% qui règlerait le problème du chômage. Avec une dette publique s’élevant à 94% du PIB, l’augmenter davantage ne créerait malheureusement pas plus de richesses. La France n’a pas voté ni exécuté un budget en équilibre depuis 40 ans, si les déficits continus étaient des cornes d’abondance, notre pays devrait vivre en bonne santé perpétuelle… Au contraire, le désendettement doit nous redonner les marges nécessaires pour agir. Rappelons-le : 50Mds€ d’économies en 3 ans sur 1 150 Mds€ de dépenses publiques, cela représente 4,5% d’économies, soit 1,5% par an… Dur mais tenable !
Certes, deux amodiations devraient être négociées avec la commission européenne, et il n’est pas facile de la faire bouger : sortir les opérations militaires extérieures du montant du déficit (c’est au nom d’un mandat européen que la France intervient au Mali ou en Centrafrique, pour la défense de tous) et obtenir une dérogation temporaire pour l’investissement public consacré à la transition écologique, en ciblant quelques secteurs (énergies renouvelables / transports en commun innovants / rénovation des bâtiments / agriculture raisonnée / Lutte contre la pollution…). Ce plan pour l’investissement durable serait validé et contrôlé par l’Union Européenne, avec des vérifications permettant de surveiller que les critères sont respectés. De manière générale, une partie de l’investissement européen, national et local doit être traitée à part (Cf. Article précédent). Cela revient à accepter un déficit légèrement supérieur à 3%, ce qui a pour double mérite d’être moins contraignant sans dispenser des efforts nécessaires. Matteo Renzi, la nouvelle idole des jeunes et moins jeunes socio-démocrates, a lui-même consenti à ce que l’Italie applique les règles qu’elle s’est fixée, en proposant un peu de souplesse, et les solutions devraient pouvoir converger. Reste à en convaincre l’Allemagne, ce qui est difficile, mais possible, en utilisant des manœuvres subtiles et discrètes avec le SPD, membre de la coalition gouvernementale, sensible au ralentissement de la croissance outre-Rhin et au pouvoir d’achat des salariés, plutôt que l’artillerie lourde germanophobe.
Si la trajectoire visant à réduire les déficits doit être respecté, modulo quelques exceptions pour tenir compte de la crise, la politique monétaire devrait encore être infléchie. Nous sommes sortis des dogmes, et la Banque Centrale Européenne a utilisé des méthodes peu orthodoxes pendant la crise financière, libérant des liquidités sur un mode plus proche de la mousson indienne que du crachin breton. Le taux directeur a atteint un bas niveau historique à 0,15% en juin 2014. En période de déflation, on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif, et rien ne peut convaincre les emprunteurs et investisseurs. Des pas supplémentaires pourraient être franchis, en utilisant les outils non conventionnels, et M. Draghi n’y semble pas totalement hostile. La première étape passe par le rachat direct de dettes publiques, à l’instar des pratiques de la Banque d’Angleterre ou de la Réserve fédérale américaine. L’objectif à terme serait bien sûr de créer enfin les Eurobonds, permettant une mutualisation solidaire des dettes européennes (au moins partiellement, par exemple la part conjoncturelle liée à la crise financière et au sauvetage des banques). Sans une politique monétaire offensive et innovante, la déflation menaçante deviendra une réalité bien tangible. Et c’est aussi en convaincant du sérieux budgétaire qu’une BCE moins sectaire aura les coudées franches pour agir sur la politique monétaire.
Le traditionnel policy mix entre politique budgétaire et politique monétaire ne suffira pas pour propulser la France sur son sentier de croissance à long terme : des réformes structurelles sont également inévitables. Arnaud Montebourg aurait dû consacrer son talent et son énergie (il ne manque ni de l’une ni de l’autre) à bâtir et faire passer sa loi sur les professions réglementées plutôt que perdre son temps et son poste en vitupérations non productives contre le Président de la République. François Hollande a demandé aux partenaires sociaux de formuler des propositions sur les seuils de représentation dans les entreprises, et, à défaut de solutions de leur part, s’est engagé à légiférer. La fusion entre la prime pour l’emploi et le RSA va également dans le bon sens. La modernisation de l’état social doit s’appuyer sur un équilibre entre la justice et l’efficacité, l’innovation et le respect des droits, l’adaptation aux évolutions et des contreparties pour les salariés. A ce titre, le système d’assurance – chômage et de formation professionnelle – laquelle profite plus aux employés déjà mieux formés ! – mériteraient une refonte d’ensemble, à l’image de celles réussies dans les pays scandinaves dans les années 1990. De telles modifications mettent du temps à porter leurs fruits, le pacte de responsabilité ne peut en quelques mois inverser la vapeur de la compétitivité perdue.
Etre de gauche, ce n’est pas se satisfaire d’une situation où les moyens financiers et humains dépensés dans la sphère publique ne sont pas à la hauteur des résultats. Etre de gauche, c’est vouloir une dépense publique, utile, efficace, ciblée, gage d’un service public de qualité au service des citoyens. Comment accepter, par exemple, que la France engage autant de moyens par élève dans son système d’éducation et se retrouve avec 120 à 140 000 élèves qui sortent de l’école sans qualification, une sélection vécue comme violente, un décalage avec le monde du travail et des comparaisons internationales peu favorables, même si les indicateurs sont toujours critiquables ? Etre de gauche, c’est d’abord vouloir atteindre des objectifs d’égalité réelle, de croissance durable, de respect des droits individuels et collectifs, de liberté et d’autonomie pour tous, quitte à repenser les moyens et systèmes traditionnels mis en place pour les atteindre, s’ils ont échoué. C’est choisir la récompense du mérite contre la rente, le dynamisme contre les monopoles ou oligopoles, la créativité contre l’endormissement. Les conservatismes sont de tout bord et de tout poil, le progressisme est la seule boussole de la gauche.
Assainir la politique budgétaire, assouplir la politique monétaire, assumer les réformes des systèmes sociaux, fiscaux et économiques : cette stratégie pourrait sortir le pays de l’ornière, loin des belles sirènes démagogiques et simplistes, car Ulysse doit bien finir par rentrer à Ithaque !
« des réformes structurelles sont également inévitables » par exemple?3 exemples allez?