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Le mobilier urbain : de l’espace public partagé à l’espace public innovant
Je suis dernièrement allé voir, avec le magazine Traits Urbains, l’aménagement des Grands boulevards à double sens, qui s’accompagne d’une expérimentation sur le mobilier urbain (bancs, chaises, tabourets). Ce suivi in situ, 6 mois après le début de l’expérimentation, faisait suite à une invitation lancée lors de l’intervention que j’avais assurée à l’occasion d’une formation du Conseil de l’Architecture de l’Urbanisme et de l’Environnement. J’y avais donné la vision de l’élu sur les évolutions de l’espace public sous l’angle particulier du mobilier urbain justement.
La forme de l’espace public a évolué. Pouvant être considéré comme un espace nécessaire de vide dans la ville pour servir d’autres fonctions, l’espace public n’est pas uniquement un espace pour les déplacements, c’est aussi parfois, et de plus en plus, une destination, un espace de sociabilité où on y recherche confort, bien-être, services et animation. A Paris, nous l’avons rééquilibré, en aménageant 75 hectares pour le bien-être des piétons, des cyclistes et de toutes les mobilités actives, comme le montrent les grands aménagements emblématiques (place de la république, voies sur berges, avenue de Clichy… après la rue de Rennes, le tramway, etc.).Le mobilier urbain y est un marqueur fort : ces objets physiques traduisent les besoins des usagers. A Paris, son implantation doit tenir compte d’un cadre précis.
Le cadre budgétaire nécessite de concilier qualité et coût raisonnable du mobilier choisi. Le cadre réglementaire impose des règles de sécurité parfois strictes (plan vigipirate, solidité des matériaux, risques pour les enfants…).
S’agissant du patrimoine, nous travaillons en lien avec les Architectes des Bâtiments de France auprès de qui nous recueillons validation et avis avant l’implantation de certains mobiliers, notamment lorsque la forme innovante n’est pas encore présente sur l’espace public. Les ABF s’assurent que l’implantation de mobiliers urbains se fait en cohérence avec la qualité urbaine et architecturale, en vérifiant que cela ne crée ni rupture, ni dégradation. Cela a été par exemple le cas avec le mobilier Vélib’ et son implantation.
La volonté de démocratiser les institutions parisiennes passe par la consultation et la participation des habitants, qui connaissent une embellie précisément sur le thème de l’espace public.
Cette volonté des urbains à s’approprier la rue et l’espace public nous a amené à réfléchir à de nouvelles formes pour donner la parole aux habitants.
Au-delà des initiatives des associations ou conseil de quartiers sur le mobilier urbain (travail artistique sur des potelets dans le 4ème ou sur des jardinières dans le 20ème), il y a de la part des usagers et des habitants un besoin de se sentir dans l’espace public comme dans l’espace privé, c’est-à-dire chez soi. Ce changement de perceptions est un des enjeux majeurs dans l’évolution du mobilier urbain.
C’est dans cet esprit que nous menons actuellement une expérimentation sur les Grands Boulevards où 12 modèles de bancs, chaises et tabourets sont implantés depuis le réaménagement des Grands Boulevards. Les passants sont invités à donner leur avis sur internet ou en mairie d’arrondissement. Les bancs sont expérimentés jusqu’à fin 2013, et près de 3 000 réponses ont déjà été recueillies. L’objectif est double : à la fois participatif en associant directement les premiers concernés, mais également de diversifier les types d’assises et réinventer le banc parisien.
Le mobilier urbain doit aussi être accessible et préserver l’environnement.
Le plan d’accessibilité de la voirie parisienne (PAVE) voté en septembre 2012 concerne à la fois l’implantation du mobilier urbain, qui ne doit pas gêner les cheminements des piétons et plus particulièrement des mal/non-voyants et des personnes en fauteuil roulant, et l’accessibilité de ces mobiliers (les colonnes à verre sont progressivement mis au niveau de personnes en situation de handicap afin de leur en faciliter l’utilisation ; les potelets sont mis aux normes au niveau des traversées…).
L’ensemble des mobiliers urbains est pensé en fonction de l’accessibilité de l’ensemble des usagers, qu’ils soient en situation de handicap où qu’il s’agisse d’autres publics dits vulnérables comme les enfants ou les personnes âgées.
Par ailleurs, l’éclairage, fortement consommateur d’énergie et source de nuisances pour de nombreuses espèces comme le rappelle le Plan Biodiversité de Paris, est de plus en plus respectueux de l’environnement.
La question des usages nocturnes nécessiterait à elle seule un long développement avec toutes les questions de mobilier urbain et de services à assurer : éclairage, sanisettes (dont 60 sur 400 ont des horaires étendues jusqu’à 1h du matin), mobiliers d’information, présence humaine…
C’est le cas à Oslo qui a adopté un système d’éclairage intelligent qui adapte l’intensité lumineuse en fonction des paramètres extérieurs tels que la fréquentation de la rue, l’heure ou le temps qu’il fait. Cela permet de concilier les enjeux environnements et la nécessité d’éclairer de manière différenciée certains quartiers. Sur la place de la Concorde, nous avons ainsi pu concilier la beauté du patrimoine avec le respect de l’environnement.
Cette question de l’éclairage nous conduit aux trois principaux enjeux actuels du mobilier dans l’espace public.
La question de l’innovation est au cœur de l’évolution de l’espace public.
Les nouveaux mobiliers urbains traduisent de plus en plus des besoins liés à l’information. L’information est une donnée majeure dans les logiques de déplacements de chacun ; une partie de plus en plus croissante des citadins peuvent se connecter instantanément à leur Smartphone pour consulter les informations liées aux horaires de passage des bus par exemple.
Le mobilier urbain peut être support de cette information des panneaux interactifs intégrés dans les abri-voyageurs, ou des panneaux dynamiques à l’image des panneaux lumineux de la Ville : l’information y est claire et actualisée régulièrement.
La question de l’évolution de ce que doit être un espace public se pose également. L’appel à projets, lancé par la Ville de Paris, sur les mobiliers urbains intelligents a retenu près de 50 projets qui ont pu être expérimentés sur l’espace public dès 2011.La grande majorité est encore en expérimentation.
Les mobiliers urbains intelligents installés à Paris sont significatifs de ces réflexions que la Ville mène sur les nouveaux usages : espace festif avec assises et tables, espace studieux avec table et connexion wifi comme sur l’escale numérique de JCDecaux implanté sur le rond-point des Champs-Elysées. Et qui rencontre un vif succès ! On trouve de nombreux mobiliers liés à l’information numérique, des activités ludiques (tablettes musicales, tablettes de jeux), ou des mobiliers d’assises plus confortables. Les mobiliers urbains sont de plus en plus le support de services permettant à l’usager de s’approprier l’espace public.
Le désencombrement de l’espace public est le deuxième sujet majeur
La marche représente aujourd’hui plus de 60% des déplacements à Paris : cela s’est traduit par un réaménagement de nombreux espaces afin de rééquilibrer les usages en fonction de la part que ces modes de déplacement occupent sur l’espace public. Cela passe également par un désencombrement de l’espace public.
Nourrie par une étude menée par la Direction de l’Urbanisme en 2010, « Désencombrer les trottoirs parisiens », la Ville de Paris s’engage au désencombrement de l’espace public afin de faciliter les flux piétons.
Il s’agit principalement de retirer le mobilier de protection, type potelets, barrières ou mobilier d’information (panneaux de signalisation) qui lorsqu’ils sont trop nombreux ne permettent plus à l’automobiliste ou au cycliste de comprendre l’espace dans lequel il se trouve.
Il ne s’agit pas de déposer l’ensemble de ces mobiliers de manière automatique ; certains mobiliers de protection s’avèrent encore indispensables notamment dans les carrefours fortement circulés. Il faut trouver le juste équilibre, au cas par cas, parce qu’il est parfois indispensable de les maintenir pour une bonne régulation ou sécurisation de l’espace public.
Cette dépose des mobiliers de protection participe d’une cohabitation intelligente des usages, en atténuant la distinction de ce qui relève strictement de la circulation automobile et ce qui relève de la marche. C’est dans ce sens également que nous allons créer de nouvelles zones de rencontres (20 km/h) à la fin du 1er semestre. La distinction entre la chaussée et les trottoirs est atténuée, soit par l’aménagement, soit par la réglementation qui donne la priorité aux piétons sur l’ensemble de l’espace y compris sur la chaussée.
Les nouveaux usages constituent le troisième sujet d’importance.
Les enjeux d’accessibilité et d’environnement, comme la politique de désencombrement de l’espace public doivent se concilier avec de nouvelles perspectives pour le mobilier urbain, liés aux nouveaux usages de l’espace public et aux avancées technologiques.
Le mobilier urbain suit les usages de la ville, notamment en matière de déplacement.
Les modes de déplacements se diversifient : le vélo a désormais toute sa place sur l’espace public parisien avec un doublement du nombre de vélos à Paris en 10 ans, et près de 35 millions de déplacements Vélib’ en 2012 ; Autolib’ étend son réseau de bornes dans le cœur dense de la métropole ; et l’offre de bus parisiens se renforce constamment depuis 2006.
Les stations Vélib’, les stations Autolib’ et les abris-voyageurs sont autant de lieu d’intermodalité où un certain nombre de services doivent être proposés. Deux abris-voyageurs expérimentés à Bastille et à Gare de Lyon ont permis d’envisager ce que pourrait être l’abri-voyageurs de demain, alliant confort et information.
Le rôle du mobilier urbain est essentiel dans cette évolution de l’espace public, d’un espace vide à un espace partagé, puis d’un espace partagé à un espace intelligent.
Il ne s’agit donc pas d’opposer les différentes politiques en cours – que ce soit en matière d’accessibilité, d’environnement, ou de désencombrement – aux avancées technologiques et aux nouveaux usages. C’est plutôt l’imbrication de ces éléments qui permettent d’aboutir à une vision plus globale et transversale de ce que doit être le mobilier urbain de demain.
C’est parfois l’innovation qui permet de concilier environnement et nouveaux usages sur l’espace public. Les nouvelles sanisettes de Patrick Jouin permettent la récupération des eaux de pluie (pour le lavage du sol) et un nouveau design permettant de les rendre accessible à tous. La fréquentation montre qu’il y avait une forte attente : on a compté 13 millions d’utilisations en 2012, contre 2.5 millions en 2005, soit 6 fois plus en 6 ans.
Le mobilier urbain comme l’espace public font appel à tous nos sens, ce qui oblige à concilier les approches : la vue (à la fois profiter des perspectives parisiennes en désencombrant et concevoir des mobiliers avec un beau design), le toucher (inventer des matériaux agréables et solides pour les accises, le sol, le mobilier intelligent tactile…), l’ouïe (ne pas ajouter du bruit dans l’espace public tout en acceptant de le faire vivre, de l’animer), l’odorat (végétaliser, planter sans nuire à la propreté du mobilier et de l’espace publics). Le goût me diriez-vous ? Hé bien c’est ce qui reste une fois le reste accompli : qu’on puisse goûter et apprécier nos espaces publics parisiens.
Merci pour cet article passionnant. Les défis en terme de mobilier urbain intelligent et écologiques sont énormes. Le paysage urbain des années à venir va être révolutionné.
Huguette.