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Le mythe de l’unité nationale

Les majorités s’en plaignent « nous avons besoin de l’unité nationale », les oppositions se rengorgent « l’unité nationale ne se décrète pas, n’y comptez pas, etc. ». Cela a prévalu à de nombreux moments de notre vie politique. Chacune estime que l’autre n’est pas à la hauteur (d’une gestion de crise / d’une attitude responsable). L’unité nationale est bien rare dans notre pays, contraste frappant, selon toutes les enquêtes, avec nos voisins européens en cette phase de pandémie accrue.

Notre Nation est en effet plus régulièrement irriguée par des passions véhémentes que des apaisements pluralistes. Il n’a pas fallu moins de cinq tomes à Theodore Zeldin pour en dresser l’histoire. Michel Winock, grand historien, en a fait l’un de ses sujets d’études au long cours (« La fièvre hexagonale. Les grandes crises politiques de 1871 à 1968 » – 1986). Raoul Girardet, dans son fameux ouvrage paru en 1986, Mythe et mythologies politiques, la classe en premier de nos quatre mythes politiques (avant celui du sauveur, de l’âge d’or et du complot). S’il est vrai que l’unité est un mythe, comme personne n’a jamais vu de licorne, personne ne l’a non plus rencontrée.

En fait, l’unité nationale ne s’est vue qu’au moment des guerres, et encore, rarement. Les guerres de la Révolution soudèrent un peuple fantasmé à Valmy, mais une partie des campagnes restait fidèle à la monarchie ; la conquête napoléonienne épuisa vite la population et l’empereur fut rejeté ; la nette défaite face l’Allemagne de 1870, malgré des sorties héroïques, humiliation si dure à avaler, n’y contribua pas. Au fond, seule la grande guerre de 1914 – 1918 y parvint, au prix de l’effacement des pacifistes et de l’assassinat de Jean Jaurès. La chambre bleu horizon fut cependant battue par le cartel des gauches. La seconde guerre mondiale – dont les cicatrices entre résistants et collaborationnistes brûlèrent longtemps sous l’apparente réconciliation – fit naître un gouvernement d’unité nationale mais pour une durée si brève (selon la formule du général de Gaulle, il n’y manquait que Messieurs Ferhat Abbas et Tixier Vignancour pour être complet).

Elle s’est vue au moment des premiers attentats terroristes de 2015, ceux du début de l’année, traduite sous l’expression « l’esprit du 11 janvier », mais ne résista pas à ceux de novembre, crispation autour de la déchéance de nationalité oblige, et surtout sidération face à la tuerie massive. Les attentats à répétition ne parviennent plus à la reconstituer non plus, gageons que la loi à venir sur l’affirmation des principes républicains ne passera pas comme une lettre à la poste.

Certes les belles réussites sportives offrent un répit fugace, comme en 1998 et 2018 pour l’Équipe de France de football, mais les divisions et les crises sont plus fréquentes. Sans remonter jusqu’aux irascibles gaulois (ce qui déclenche immédiatement la riposte), notons dans la France contemporaine : la Terreur rouge puis blanche de 1794 – 1795, les journées révolutionnaires de 1830 ou 1848, l’empire contre les républicains en 1852, la Commune en 1870, l’affaire Dreyfus en 1898, la manifestation des ligues le 6 février 1934, la victoire du front populaire en 1936, les guerres de décolonisation de 1954 à 1962, mai 1968, le droit à l’avortement en 1975, mai 1981, la guerre scolaire de 1984 et de 1994, le PACS et le mariage pour tous en 1998 et 2013, les grèves de 1995, 2010 ou 2019, j’en passe et des pires. Des historiens chevronnés en ont rempli des pages de livres.

D’ailleurs, les querelles françaises ne concernent pas que la politique. La religion, la société, souvent des faits divers eux-mêmes ou des sujets triviaux sont susceptibles de les déclencher. Les réseaux sociaux ont largement amplifié ces phénomènes d’hystérie collective. La division fait flèche de tout bois. Rien que depuis 2017, nous avons traversé trois grandes épreuves (manifestations des gilets jaunes, pandémie de la Covid-19, attentats islamistes), où à chaque fois la cohésion du pays est mise à mal. Alors, quelles conclusions en tirer ?

  1. Toujours vouloir l’unité nationale, chercher à convaincre, à embarquer, ne pas insister quand elle ne se fait pas spontanément sur le moment.
  2. Tenter les réformes qui la favoriseraient, en les soumettant à débat. Un État plus décentralisé, une démocratie plus représentative peuvent en être les outils, sans illusion délirante sur le modèle allemand (le patriotisme y a une autre histoire…)
  3. Créer les conditions d’une unité nationale à plus long terme, par l’éducation, la culture, la mobilisation de la jeunesse. L’exemple américain a ses défaillances, et ne fait plus rêver, pourtant retrouver le sel fraternel de notre hymne et de de notre drapeau redonnera goût et saveur à un élan patriotique à portée universaliste.

Pas de remède miracle pour l’unité, largement mythifiée. Une culture historique mieux partagée, un sens des responsabilités réhabilité, une démocratie plus apaisée, ce serait déjà beaucoup demander.

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