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L’histoire, l’actualité, l’avenir : tisser le lien de ce que nous sommes

Brutalement, les trois temporalités classiques que nous éprouvons, le passé, le présent et le futur, sont venues se condenser dans un précipité, se fracasser comme des atomes, se percuter comme une triste collusion automobile sur une autoroute, dans ce même instant que nous vivons collectivement.

La ferveur autour de la République a ressurgi. L’atroce attentat islamiste qui a tué Samuel Paty nous a à la fois sidérés et réveillés. La cruauté du mode opératoire, le métier d’enseignant visé, l’engrenage atroce des événements, la liberté d’expression mise en cause : tout concourt à la stupéfaction, tout conduit au sursaut. C’est comme si le récit national émergeait enfin, après des reculs et parfois des silences accommodants. Le passé refait surface. Délaissées au quotidien, les valeurs de la République n’attendaient qu’un drame pour affleurer à notre conscience afin de réclamer leur dû. Tant mieux. Il faut agir, tout de suite (fermeture des mosquées où se prêche la haine, dissolution d’associations prosélytes du séparatisme, expulsion de personnes dangereuses pour la République…) et vite (un texte de loi le 9 décembre pour nous doter de moyens juridiques nouveaux).

Il faut donner suite à nos sentiments si profondément affectés, en se dotant de nouveaux outils, humains (les personnels chargés de lutter contre le terrorisme, les appels à la haine, sur les réseaux sociaux notamment), budgétaires (déjà amplement renforcés, effort à prolonger), collectifs (c’est toute la société qui doit agir et réagir). Un peuple n’a pas qu’une définition politique, celle du contrat social, mais possède aussi une chair et une âme tissées dans son histoire : c’est ce qui se donne à voir aujourd’hui. C’est là où passé et présent se rejoignent : l’histoire nous oblige, ici et maintenant.

La pandémie n’a pas fléchi. Les mêmes qui voulaient passer à autre chose et trouvaient qu’on en faisait trop dénoncent désormais un prétendu laxisme des autorités. Ceux qui ne croyaient pas à la deuxième vague se cachent. En deux semaines, nous aurons vu une majorité au Sénat réclamer la réouverture des boîtes de nuit et des salles de sport et dans une virevolte époustouflante attaquer le Gouvernement sur son impréparation. Avec un peu de recul, les observateurs voient bien que toute l’Europe bascule dans une recrudescence violente de la pandémie et que par conséquent tous nos voisins ont pris des mesures restrictives. Les donneurs de leçons ne renoncent pas rapidement hélas, malgré ce que leur apprennent les événements récents. Comme disait Chamfort : « Les critiques, ces gens qui savent si bien moucher la lampe mais n’y mettent jamais de l’huile ». Consacrons nos efforts de recherche à la découverte d’un vaccin, au niveau européen, susceptible de redonner de l’espoir et de la confiance.

Les tensions internationales se sont accélérées, obligeant l’Europe à réagir fortement dans un avenir proche. La Turquie d’Erdogan en est l’illustration périlleuse, Syrie, Libye, Asie centrale, l’autocrate essaie de faire oublier sur les fonts extérieurs ses échecs intérieurs. En tout cas, espérons-le. La Chine et la Russie veulent imposer leur tempo. Thaïlande, Biélorussie, Côte d’Ivoire, les secousses ébranlent la surface du globe partout. Un sujet par hasard parmi d’autres : la taxation des géants du numérique a de nouveau été bloquée par les Etats-Unis (à l’OCDE). L’Europe doit prendre ses responsabilités, et construire sa souveraineté. Le risque de marginalisation peut être évité. Il y a là-aussi urgence.

Le pays est sur les braises. Certains préfèrent souffler dessus, au risque d’enflammer le pan de leurs propres vêtements : croyant en profiter, ils ne favorisent que l’extrême droite qui se tait ou parle peu et attend son heure dans l’ombre, loin du foyer brûlant. Après tout, la France a déjà été en décalage dans son histoire politique : nous pouvons subir le contrecoup de l’Italie, du Brexit, de Trump et Bolsonaro avec retard. Quelle direction se donner ? Quel gouvernail empoigner ? Quel horizon se fixer ? Rappeler le fil de notre histoire commune, garder la tête froide sur la crise que nous traversons, préparer un avenir européen pour les générations futures. Plus que jamais, nous avons besoin du sens de la nuance, vanté par Hannah Arendt comme Mona Ozouf, d’esprit cartésien – doute compris, méthode incluse – et surtout de la vertu de modération, si chère à Aristote. De calme dans la tempête. De conserver la lèvre supérieure rigide. Tout le monde n’en est pas capable ; gageons qu’un jour un sentiment d’unité permette de relever cette gageure.

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