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Ligne de crête, lignes de fractures et ligne d’horizon

Il semble que nous ayons passé la semaine à tracer des lignes. Le déconfinement se joue – selon l’expression du Premier Ministre – sur une ligne de crête entre reprise de l’activité, libertés recouvrées et préservation de notre santé. La création d’un neuvième groupe à l’Assemblée nationale traduirait de nouvelles fractures au sein de la majorité – ou en dehors. Enfin, le Président est attendu pour défendre la vision de la dernière partie de son quinquennat, tracer un dessein, fixer un nouveau cap. Bref, un nouvel horizon.

Reste à savoir si tout cela dessine un labyrinthe embrouillé ou un damier clair. Beaucoup de questions sont en suspens. Sur le groupe, actualité la plus chaude, il faut attendre pour savoir s’il s’agit de frondeurs ou non : déposeront-ils une motion de censure contre leur gouvernement comme leurs prédécesseurs sous le quinquennat de François Hollande ? Voteront-ils contre le budget ou contre des traités européens, comme avaient osé certains députés socialistes dès 2012 ? La qualification du groupe se jaugera à son attitude.

Son principal tort est de ressusciter la ligne de partage des eaux entre gauche et droite, clivage auquel je ne crois plus. Bien sûr, on se définit en traçant une frontière (et cela est vrai au moins depuis la fondation de Rome) : exister, c’est fixer une limite. Mais pourquoi diviser quand on peut agir en interne (Emilie Cariou a ainsi gagné son combat contre le verrou de Bercy, loin d’être emporté à l’avance !) ? Et surtout la vraie distinction s’opère, non pas sur d’anciens schémas archaïques, mais sur la façon radicalement différente d’envisager la politique : c’est par le bas, avec les initiatives individuelles, associatives ou entrepreneuriales, par l’action locale, en jouant sur la proximité du terrain, qu’une méthode révolutionnaire pourra s’élaborer pour transformer nos institutions et nos politiques publiques. Le nouvel en même temps s’articule sur la verticalité et l’horizontalité. Les bisbilles politiques – qui revêtent parfois une certaine noblesse – ne sont pas à la hauteur de ce que l’époque requiert.

De même, sur le déconfinement, des interrogations planent encore pour mesurer la portée du succès. À ce stade, tout se passe plutôt dans de bonnes conditions, mais il est encore trop tôt pour s’en réjouir. La prudence s’impose. Les précautions d’usage demeurent. La vigilance est de mise dans les lieux publics. Elle devrait prévaloir également pour la tenue du deuxième tour des élections municipales : la démocratie exige de la sérénité, qui n’est pas encore revenue. Une élection, c’est d’abord une campagne : comment faire sans porte-à-porte, sans meeting, sans tracts sur les marchés ? Attention aux déséquilibres sur les réseaux sociaux… Ensuite, un tel contexte favoriserait à l’extrême les sortants, qui ont pu distribuer masques et paniers repas. Enfin, la tenue de bureaux de vote sera compliquée sans les personnes âgées, au risque de graves désordres pour les ouvrir (et l’injonction contradictoire disant à nos aînés de ne pas se porter volontaires pour être président ou assesseur mais les invitant à venir voter risque de perturber davantage le message). Rationalité scientifique n’est pas toujours raison politique.

Plus important que ces considérations trop politiciennes pour nos compatriotes – qui a en ce moment la tête aux élections à part la classe politique ? – vient l’horizon que doit dégager le Président de la République. Il a déjà renversé la table européenne avec Angela Merkel (mutualisation d’une dette européenne de 500 milliards € : rien que ça), il ne doit pas s’arrêter en si bon chemin : nouvelle donne politique (la méthode car « la forme c’est le fond qui remonte à la surface » dixit Victor Hugo), écologique (l’urgence climatique exige autant de changements de comportements que ceux que nous avons acceptés pour la crise sanitaire), et solidaire (la société a considérablement évolué sous les coups de boutoir du virus, c’est un point de départ pour radicalement innover, en s’appuyant aussi sur le numérique, le bénévolat, les initiatives citoyennes).

L’actualité nous a secoués comme rarement avec cette maladie. L’absurde a de nouveau surgi sous nos yeux éberlués. C’est dans ce moment qu’il faut se projeter : « La vraie générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent » écrivait Albert Camus dans l’Homme révolté.

Nous vivons précisément un temps où le présent exige beaucoup de nous !

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