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Ne pas faire « comme si » …

Pendant ce deuxième confinement, les tribunes aux envolées lyriques sur le monde d’après sont un peu retombées comme un soufflé raté. Nous ne sommes pas encore vaccinés contre la Covid-19 mais déjà contre les lendemains qui chantent. On y croit un brin moins. Permanence du virus avec lequel il faudra apprendre à vivre encore quelque temps, retour en force des attentats islamistes, insécurité sur le devant de la scène, inquiétudes géopolitiques majeures de l’Arménie à l’Amérique, la morosité, la nervosité à fleur de peau et l’abattement dominent. Notre sang-froid est mis à rude épreuve.

Au moins, nous ne pouvons plus faire « comme si », c’est-à-dire comme si ces crises n’existaient pas. Elles induisent des risques sans précédent et des occasions inédites ; elles opèrent à la fois des adaptations ponctuelles et des transformations majeures ; elles poussent à des prises de conscience rapides et des actions nouvelles. Ce n’est pas tant de savoir si le futur sera différent d’aujourd’hui (un autre paradigme), mais de voir que le présent est irrémédiablement bouleversé. Pas d’élucubrations, mais l’analyse de quelques faits et tendances bien là sous nos yeux.

Premier choc, celui sur les finances publiques. Emergent certes les interrogations sur notre capacité à rembourser. Les premiers doutes se font jour : qui va payer, comment et quand ? En tout cas, le discours du Président de la république sur le « quoiqu’il en coûte », grande révolution masquée, a durablement imprégné la société – c’est en quoi la parole peut être performative, c’est-à-dire se traduire directement en actes et en valeur. Nous sommes passés du respect des normes budgétaires à la relance keynésienne à tout crin, avec des mesures d’offre en parallèle (baisse des impôts de production), y compris au niveau européen (bonne nouvelle que l’accord obtenu cette semaine au Parlement). Le bon en avant voulu par le Président de la République se concrétise, avec toute une palette de ressources propres (Taxe plastique, taxe numérique, taxe sur les transactions financières, harmonisations fiscale, marché carbone) : sous l’effet de la crise, l’Europe tient les promesses de la gauche. N’empêche que le changement de pied est radical – copernicien même. Une nouvelle dette pour des générations s’est créée : il n’y avait pas d’autre choix qu’une réponse déterminée –une épée de Damoclès attend désormais son bouclier…

Deuxième choc, celui sur la démocratie. Trump aurait-il été réélu sans la covid ? Nous ne le saurons jamais. Pourtant poser la question, n’est-ce pas y répondre ? En tout cas les leaders qui prennent l’épidémie à la légère en sont pour leur frais – les Johnson et Bolsonaro – tant l’attente de protection sanitaire est forte. Le défi qui est devant nous est celui de la participation : l’abstention risque d’être proportionnellement galopante à la récurrence ou au maintien des virus, celui-là ou un autre. Déploiement de machines à voter dans toute la France (avec fonds de soutien de l’État pour les acheter), vote par correspondance, vote électronique : il va falloir phosphorer pour s’assurer que les citoyens puissent voter.

Troisième choc, celui sur les réformes. Assurance-chômage ou retraites, impossible de faire comme si la crise n’avait pas eu lieu. Elles ne peuvent être menées que de manière radicalement différente, prenant en compte l’implication des premiers de corvée pour faire face aux besoins de la population. Cela ne concerne pas que ces domaines là, mais tout le monde du travail. Tout le monde tout court d’ailleurs (salariés en télétravail, éducation à distance, télémédecine…). Ne nous voilons pas la face : de nouvelles pratiques se sont imposé, ont progressé, voire explosé : « ce n’est pas pour demain, c’est pour hier » (comme on disait à l’armée). Inutile de les nier : « Puisque ces mystères nous échappent, feignons de les organiser » (dixit Jean Cocteau), ensemble, et vite.

Et que dire du terrorisme ? La République doit affronter ses ennemis, avec des outils renouvelés : l’État de droit, débarrassé de sa naïveté. Comme si nous avions le luxe d’ignorer les impérieuses attentes populaires… Et les puissances expansionnistes comme la Turquie et la Russie ? À quand le réveil ? À quand un congrès mondial des intellectuels pour la liberté d’expression ? 50 personnes ont été décapitées au Mozambique il y a quelques jours à peine. À quand la digne riposte des progressistes ?

« Toutes choses étant égale par ailleurs », ce raisonnement scientifique qui évite de faire bouger toutes les variables en même temps dans une expérience, si prépondérant en économie, a volé en éclats. Toutes les variables bougent tout le temps et toutes en même temps. Paul Verlaine titra un de ses magnifiques recueils « jadis et naguère » : quel poète voyant écrira « Ici et maintenant » pour éclairer l’avenir ?

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