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Passeurs de théâtre

aaDepuis que je suis chargé de la culture dans le 20ème arrondissement, je me suis rendu dans de nombreux théâtres, parfois méconnus, qui s’y trouvent. J’y suis allé encore récemment, ou dois y retourner bientôt, notamment au cirque électrique (Porte des Lilas), au théâtre aux mains nues (square des cardeurs à saint-Blaise), au regard du cygne (rue de Belleville), au théâtre de l’écho (rue des Orteaux), de Ménilmontant (rue du retrait)  et à celui de l’Ogresse (rue de la Plaine).  Et encore, j’aurais pu citer de nombreux autres lieux, comme Confluences (boulevard de Charonne) ou le Populaire (rue Henri Chevreau), sans être exhaustif !

Quoi de commun entre ces six lieux si divers, en plus de leur localisation dans le 20ème arrondissement ?

Ils ont l’air bien dissemblable en effet. Le cirque électrique est spécialisé dans la programmation de spectacles décapants d’arts de la rue et du cirque (avec aussi des cours pour les enfants qui cartonnent) ; le théâtre aux mains nues est un lieu réputé de la marionnette en France ; le regard du cygne est lieu de création de spectacle de danse ; les théâtres de l’écho et de l’ogresse animent le territoire en tissant des liens et en jouant sur le décalage ; le théâtre de Ménilmontant s’ouvre à tout vent. Confluences défend un théâtre militant et engagé. Leurs budgets sont très différents, leur statut juridique aussi, le niveau de soutien public dont ils bénéficient également. Leur notoriété n’est évidemment pas non plus identique. Certains sont privés, d’autres associatifs, certains sont portés par les pouvoirs publics, d’autres pas du tout.

Pourtant, plusieurs choses les rapprochent, en plus de la géographie et de la qualité des découvertes qu’on y fait : comme souvent les lieux culturels, ils sont portés par des personnalités fortes, ouvertes et courageuses, capables de résister aux orages. Amy Swanson au regard, Eloi Recoing aux mains nues, Mourad  Berreni à l’écho, Mutata à l’ogresse, Cécile et Hervé au cirque électrique…, sans eux, l’histoire des lieux n’existerait pas.  Les rencontrer est toujours un moment intense d’échanges,  jamais complaisants, mais toujours stimulants. Certes, esprit contestataire aidant, le rapport de la culture à l’autorité est souvent tonique, intense, voire trapu, en fonction des personnalités bien sûr, mais c’est l’enrichissement mutuel qui domine.  Ils incarnent l’esprit des lieux, ils portent la cohérence d’une programmation, ils rassemblent des amis et familles.  C’est parce qu’ils sont là qu’on se sent chez soi, et que leur lieu à une âme, un cœur et une chair reconnaissables et que chaque lieu est à nulle autre pareil.

De ce lien avec une personne particulière, il découle une certaine fragilité. Le risque est toujours là, de voir disparaître un lieu avec la fin d’une équipe, que l’on se souvienne du théâtre des cardeurs et de tant d’autres. Il faut savoir transmettre, faire passer le flambeau, se prolonger hors de soi, ce qui est loin d’être gagné d’avance. Cela tient bien sûr à la qualité des équipes, de taille très réduite, à l’art de la pédagogie du savoir-faire, à l’empathie. Cela tient aussi à ce que d’autres comprennent et s’approprient l’histoire et les enjeux d’un lieu.

Autre point commun, c’est la précarité et la difficulté de maintenir une activité. L’économie de ces lieux est périlleuse, leur survie perpétuellement menacée,  et au mieux, l’existence difficile au quotidien. Les budgets ne sont pas extensibles, les publics non plus (même si on peut toujours faire mieux) et les capacités d’action des collectivités encore moins.  Pour les artistes, cela signifie des possibilités de production de plus en plus ténues, et une lutte permanente pour garantir le fonctionnement de l’espace. Le mécénat n’est pas simple à trouver pour des lieux insuffisamment médiatisés ; les tarifs ne peuvent être augmentés au regard du public populaire qui les fréquente, sinon le risque de baisse de fréquentation est réel.

Pourtant, le point commun essentiel reste la profonde nécessité de ces lieux, où se rencontre un public qui ne va pas dans d’autres endroits culturels, où jouent des compagnies qui ne peuvent se produire ailleurs, qui constituent des lieux ressources pour la création et la diffusion, qui sont des scènes d’émergence pour des spectacles qui feront ensuite leur chemin, bref qui tisse au coeur du territoire la possibilité de la création artistique.

Faut-il baisser les bras et se résoudre aux graves difficultés, voire à la disparition de lieux aussi importants pour l’animation de nos quartiers, le lien social et l’accès à la culture ? Certainement pas, et certaines démarches doivent permettre de garantir au maximum leur existence :

  1. Encourager toujours leurs actions d’ouverture vers les publics des quartiers, comme le font la plupart des structures (le théâtre aux mains nues avec les collèges avoisinants de Saint-Blaise par exemple…). L’éducation artistique est une priorité du Gouvernement, elle doit continuer à se déployer, et être appuyée par les autres acteurs. Pas avec des projets au rabais, mais dans le cadre de l’excellence et de l’exigence, comme l’illustre le programme l’Art pour grandir de la Ville de Paris.
  2. Aider à la mutualisation, en facilitant le passage de spectateurs d’un lieu à l’autre (via des cartes de réduction ?), en renforçant les lieux ressources et de réseau où chacun participe et peut aussi trouver de quoi l’aider, en tissant les liens entre les différents acteurs locaux (centres sociaux, centres d’animation, associations, et structures culturelles). C’est ce que nous faisons, par exemple, quand nous finançons des ateliers du centre Archipelia dans la galerie 22,48 m2 qui lui fait face. Beaucoup d’initiatives de ce type existent, les crédits d’animation servent à les soutenir.
  3. Imaginer un fonds de soutien à l’investissement, cofinancé par l’Etat, la CDC et d’autres institutions financières, la Région, la Ville de Paris, les fondations et partenaires privés, pour aider les lieux à se moderniser, à revoir les conditions de sécurité, à s’adapter à l’accueil de personnes en situation de handicap. La mairie du 20ème le fait à son niveau : nous avons subventionné les travaux du cirque électrique, des théâtres de l’écho, de l’ogresse et de Ménilmontant… Cette expérience est très bénéfique et cette belle expérimentation locale devrait être généralisée, en respectant des critères : réserver le soutien à ceux qui en ont besoin, donner plus à ceux qui ont moins (par exemple des prêts à taux zéro pour les structures moyennes et des subventions d’équipement pour les structures plus petites et plus fragiles), retenir une grille de conditions claires d’attribution (devis – montant maximum – travaux urgents et indispensables…).  Ce fonds de soutien ne serait destiné qu’à des équipements de proximité, et donc distincts de ce qui peut exister pour le théâtre privé notamment.

Je n’ai pas évoqué les lieux musicaux, dont l’insonorisation pourrait bénéficier de ce fonds. Mais pour le studio l’ermitage (rue des cascades)  qui propose des concerts de musiques actuelles variés et dynamiques, la Bellevilloise, la maroquinerie, la flèche d’or et tant d’autres, un nouvel article est nécessaire !

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